Le Toro de la Vega n'existe plus
Le Toro de la Vega, une pratique espagnole au cours de laquelle, chaque année, un taureau était poursuivi et supplicié à coups de lances, est enfin abolie.
Cette pratique a lieu chaque année en septembre depuis paraît-il cinq siècles à Tordesillas, dans la province de Valladolid, appartenant à la communauté autonome de Castille-et-León en Espagne.
Un taureau était lâché dans les rues de la ville, puis poursuivi par une foule armée de lances, à pied ou à cheval, jusque dans la plaine (la vega), où il était achevé, à la lance puis à coups de poignard dans la nuque.
Pourquoi employons-nous l'imparfait ? Parce que, cette année, si un taureau a été lâché comme les autres années, il n'a pas fait l'objet de mauvais traitements physiques. En effet, le Conseil exécutif (la "Junta") de Castille-et-León a adopté en mai dernier un décret-loi interdisant la mise à mort de taureaux en public lors des spectacles taurins populaires et traditionnels (inutile de préciser que ces spectacles n'incluent pas les corridas). Ce décret-loi a été validé en juin par le Parlement (las "Cortes") de la communauté, et a donc pris statut de loi.
L'exposé des motifs du décret-loi s'appuie explicitement sur "la volonté sociale persistante qui s'accroit de jour en jour, et s'exprime par des demandes et des pétitions répétées envers les instances de notre Communauté autonome, par les divers moyens légaux prévus par le système juridique, ainsi que, de façon publique et manifeste, par des mobilisations publiques".
L'expression de cette volonté sociale s'est faite notamment, à l'échelon espagnol, grâce au PACMA (Parti animaliste contre la maltraitance animale), la fédération d'associations "La torture n'est pas notre culture" (LTNEC), et notre organisation vétérinaire sœur l'AVATMA.
C'est ainsi que le 13 septembre avait lieu à Tordesillas le premier lâcher de taureau rebaptisé "Toro de la Peña".
Bien sûr, le taureau a été stressé et harcelé, comme le sont les taureaux lors des lâchers, en Espagne ou dans les autres pays où ces pratiques ont lieu.
Toro de la Peña 2016: Pelado from PACMA TV on Vimeo.
Et il a sans doute été tué par la suite hors la vue du public, comme le prévoit encore le règlement des spectacles taurins populaires. Mais cette année, il n'a pas été publiquement blessé à coups de lances jusqu'à la mort, ce qui est un progrès déterminant.
Quelques milliers de personnes étaient présentes. Parmi elles, d'une part des gens de la localité et des protaurins qui réclamaient le retour aux lances traditionnelles, et d'autre part des défenseurs des animaux venus de toute l'Espagne pour vérifier que le taureau n'allait pas être blessé. La police et la garde civile étaient présentes à la fois pour veiller au respect de la nouvelle réglementation, et pour protéger les détracteurs du "Toro de la Vega" de la violence de ses défenseurs.
Le caractère hautement symbolique de ce changement lui a valu d'être a été commenté par toutes les grandes agences de presse (AFP, Reuters, AP, EFE), par l'ensemble des médias espagnols comme le premier quotidien El Pais ou le groupe audio-visuel public RTVE, par des médias anglophones comme CBS ou The Guardian, et par des médias français comme le site audio-visuel public d'actualités France Télévisions ou le quotidien Le Monde.
Rappelons que le 10 septembre, des milliers de citoyens espagnols avaient manifesté à Madrid pour réclamer l'interdiction de la corrida.
Ce rassemblement était notamment dû au PACMA (Parti animaliste contre la maltraitance animale), mouvement organisé en parti politique (1).
La réaction du président de l'« Observatoire National des Cultures Taurines »
Dans notre article de 2014, nous précisions (section 5) que cette année-là, la personne chargée d'ouvrir les fêtes patronales de Tordesillas était André Viard, président depuis 2008 de l'association française de lobbying tauromachique intitulée "Observatoire National des Cultures Taurines".
André Viard était présent ce 13 septembre 2016 à Tordesillas, pour défendre bien sûr le retour aux lances. Il était interrogé lors de l'émission Miroir public de la chaîne de télévision espagnole Antenne 3. Il a entre autres proclamé "Rappelez-vous que les nazis ont commencé par brûler les livres, et ensuite on sait où ils en sont venus. Ici, nous pouvons confirmer que dans le monde entier il y a une idéologie sectaire végane qui tente d'imposer son point de vue, et ce point de vue peut nous faire arriver à une guerre de civilisation, n'en doutez pas !" Et il a martelé "Les droits des animaux n'existent pas ! Ils n'existent pas !"
L'émision Zapping de la chaîne espagnole La Sixième a rendu le même jour hommage au porte-parole français de la tauromachie: "il est impossible de dire plus de stupidités par minute".
S'il avait vécu au XVIe siècle, M Viard eut sans doute été intellectuellement dépassé par la Controverse de Valladolid sur le statut des indigènes du Nouveau Monde, quelques décennies après le partage de celui-ci entre la Castille et le Portugal par le Traité de Tordesillas.
On se rappelle qu'après la tuerie du 7 janvier 2015, André Viard avait lancé sur son compte twitter espagnol : "Charlie est le journal le plus violent qu'il y a eu en France. Je ne suis pas Charlie."
Outre-Pyrénées, le président de l'ONCT se laisse aller. Il faut dire que ses excès l'ont rendu inaudible en France.
A quelques exceptions près, soyons juste : début octobre, le président du Sénat Gérard Larcher accueille et inaugure au Palais du Luxembourg un « colloque » de l'ONCT intitulé L’Homme et les animaux, vers un conflit de civilisations ?
La présentation de ce « colloque » (qui réunit toujours la même poignée d'affidés) fait référence aux "valeurs que notre civilisation a héritées de la pensée judéo-chrétienne" et cite la Genèse 1-28, où après avoir créé l'homme et la femme, "Dieu leur dit : … remplissez la terre, et l'assujettissez; et dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, et sur tout animal qui se meut sur la terre" (2). D'où la profession de foi de M Viard : "les droits des animaux n'existent pas !"
Gérard Larcher donne une fois de plus une merveilleuse image de la fonction de sénateur et du titre de vétérinaire.
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(1) : L'existence en Espagne d'un parti politique dédié aux droits des animaux peut se comprendre :
- d'une part en réaction aux multiples traditions espagnoles basées sur des supplices d'animaux, heureusement en voie d'extinction,
- d'autre part en raison de l'enjeu politique que constituent souvent ces traditions et les passions qui y sont attachées.
- d'une part en réaction aux multiples traditions espagnoles basées sur des supplices d'animaux, heureusement en voie d'extinction,
- d'autre part en raison de l'enjeu politique que constituent souvent ces traditions et les passions qui y sont attachées.
(2) : L'ONCT fait bien de l'honneur au philosophe Peter Singer en le mettant sur le même plan que Dieu. Mais quitte à citer des textes sacrés, il faut être rigoureux : la phrase attribuée à Peter Singer n'est pas de lui, elle est copiée-collée de l'article francophone de Wikipédia qui lui est dédié. Dans ses ouvrages, ce philosophe se contente de mettre en balance, d'un point de vue utilitariste, d'une part la consommation de chair et de produits animaux, d'autre part les conditions d'élevage, de transport et d'abattage (ou de pêche) des animaux.
Par ailleurs, on aimerait que les intervenants de ce colloque soient aussi impliqués que l'est Peter Singer intellectuellement et concrètement dans le soutien aux autres êtres humains.
Par ailleurs, on aimerait que les intervenants de ce colloque soient aussi impliqués que l'est Peter Singer intellectuellement et concrètement dans le soutien aux autres êtres humains.