À Mexico, les corridas devront se dérouler sans blessures et sans mise à mort

Publié le par Vétérinaires Anti Corrida

Ce 18 mars 2025, le Congrès de la ville de Mexico a approuvé à la quasi-unanimité une nouvelle réglementation des spectacles tauromachiques, qui interdit l'usage d'instruments visant à provoquer des blessures ou à mettre à mort les taureaux.
 

Les États-Unis du Mexique

Le Mexique est le pays hispanophone d'Amérique latine le plus peuplé, avec plus de 130 millions d'habitants, et donc le premier pays taurin de la planète en termes démographiques.
C'est un État fédéral constitué de 31 États ainsi que de la ville de Mexico, laquelle constitue une entité fédérée à part. Celle-ci est la 2ème entité fédérée en termes de population avec plus de 9 millions d'habitants.
Chaque entité fédérée dispose d'une certaine liberté concernant les décisions administratives, législatives ou juridiques.

Le parti politique majoritaire depuis 2018 est le parti de gauche Morena (Movimiento de Regeneración Nacional), à la fois aux élections présidentielles, aux élections législatives et aux élections sénatoriales.
Il est également majoritaire à l'échelon de la ville de Mexico, suite aux élections du "chef de gouvernement" (le maire) et zux élections du Congrès local.
Le président du Mexique a été Andrés Manuel López Obrador (dit "AMLO") de 2018 à 2024, puis est Claudia Sheinbaum depuis 2024.
La cheffe du gouvernement de la ville de Mexico a été Claudia Sheinbaum de 2018 à 2023, puis est Clara Brugada depuis 2024.

La ville de Mexico


Le Mexique et les corridas

Le Mexique est le deuxième pays taurin du monde en termes de nombre de bovins suppliciés, après l'Espagne.
Les arènes de la capitale Mexico ("Plaza Mexico") sont les plus grandes arènes du  monde, avec plus de 40 000 places, mais surtout elles étaient jusqu'en 2019 les deuxièmes arènes du monde (après Las Ventas de Madrid) en termes de nombre de spectacles et de bovins suppliciés (puis il y a eu la pandémie coronavirale, puis une décision judiciaire que nous évoquons plus bas).

Au Mexique comme dans les autres pays où persistent des corridas, celles-ci suscitent une opposition croissante depuis des années.
Ainsi, entre 2013 et 2021, 5 États ont interdit les corridas : Sonora, Guerrero, Coahuila, Quintana Roo et Sinaloa.
Une toute récente enquête d'opinion réalisée dans la ville de Mexico montre que 75% des habitants sont contre la corrida.

Cette opposition s'inscrit dans le cadre de la préoccupation envers les animaux sensibles, du rapport des humains à la nature, mais aussi de la lutte contre toutes les formes de violence. Le Mexique reste malheureusement un pays marqué par la violence, se plaçant en 138e position sur 163 dans le classement 2024 de l'Indice Global de Paix.

Depuis janvier 2017, la Constitution de la ville de Mexico reconnait les animaux comme des êtres sensibles, et énonce que toute personne a l'obligation juridique de respecter leur vie et leur intégrité, que les autorités de la ville garantissent leur protection et leur bien-être, et que la loi détermine les mesures de protection dans les spectacles publics (cf section B de l'article 13).
Depuis décembre 2024, la Constitution fédérale du Mexique interdit le mauvais traitement des animaux, et énonce que l'État doit garantir leur protection et leur traitement approprié, et que le Congrès fédéral a la compétence de faire des lois établissant les différents niveaux de pouvoir en matière de protection et bien-être des animaux (cf articles 4 et 73 de la Constitution).

La Plaza Mexico


Mexico et la corrida : antécédents de décisions judiciaires

Au Mexique comme dans d'autres pays latino-américains, les opposants à la corrida ont deux voies d'action : la voie législative, et la voie juridique.

En ce qui concerne la ville de Mexico, une décision qui a eu un impact fut la suspension indéfinie des corridas dans les arènes de Mexico décidée en juin 2022 par Jonathan Bass, juge fédéral en matière administrative, suite à une plainte de l'association Justicia Justa, en l'attente de la décision définitive. La décision du juge Bass ne fut annulée par la 2e Chambre de la Cour suprême qu'en décembre 2023.
Les arènes de Mexico étaient ainsi restées sans spectacle tauromachique de juin 2022 à décembre 2023.


Mexico et la corrida : antécédents d'initiatives législatives

Une proposition de loi qui avait fait parler d'elle est celle de Jorge Gaviño Ambrizdu, député d'opposition (Partido de la Revolución Democrática) de la ville de Mexico, déposée en septembre 2021.
Elle avait été acceptée par la Commission du Bien-être animal du Congrès de la ville de Mexico en décembre 2021. Mais ensuite, elle était restée bloquée pendant des mois au lieu d'être transmise au Bureau directeur du Congrès afin d'être mise à l'ordre du jour.

Suite à la pression des organisations de défense animale et d'un certain nombre de députés, la proposition de  loi avait fini par être transmise au Bureau directeur fin mars 2022. Mais celui-ci avait décidé le 8 avril qu'elle devait retourner en Commission en raison d'irrégularités. Et on n'en avait plus entendu parler.

Le parti majoritaire (Morena) a été mis en cause dans le cadre de ces manœuvres dilatoires et obstructives.
Lors du vote par la Commission du Bien-être animal du Congrès, les 4 membres de la Commission qui n'avaient pas voté en faveur de la proposition de loi étaient les 4 élus du parti Morena (absence ou abstention).
Et le président de la Commission, membre du PVEM (Partido Verde Ecologista de México), allié avec Morena, avait bloqué la transmission de l'avis afin de procéder à l'évaluation des répercussions économiques de cette mesure. Il était soupçonné de céder aux pressions de Morena qui lui-même devait subir de violentes pressions du lobby taurin.

Et lors de la décision du Bureau directeur de renvoyer la proposition de loi en Commission, on ne manqua pas de souligner que le président et la majorité du Bureau étaient du parti Morena.

Le président du Mexique, AMLO, et la cheffe du gouvernement de Mexico, Claudia Sheinbaum, donc tous deux du parti Morena, ne voulaient pas s'impliquer clairement contre la corrida, vu les polémiques suscitées. Chaque fois qu'il en était question, AMLO invoquait une "consultation populaire" (telle que prévue par la section VIII de l'article 35 de la Constitution mexicaine), et Claudia Sheinbaum renvoyait sur un débat avec tous les citoyens, et ça n'avançait pas.

Congrès de la Ville de Mexico


Comment en est-on arrivé à la proposition finalement adoptée ?

● Au départ, il y a eu une "initiative citoyenne", telle que prévue par la loi de participation citoyenne de la ville de Mexico  (cf Titre Cinq – Chapitre Deux : articles 28-36) et par la Constitution de la ville de Mexico (cf Article 25, section B).
Les associations de défense animale rassemblées dans le mouvement Mexico Sin Toreo et le collectif Cultura Sin Tortura ont recueilli plus de 30 000 signatures de citoyens soutenant une proposition de loi visant à interdire les corridas et les combats de coqs, et ont déposé le dossier au Bureau directeur du Congrès de Mexico le 1er septembre 2024, le jour de l'ouverture de la session ordinaire.
Le 25 janvier 2025, l'Institut Électoral de la Ville de Mexico a validé 27 442 signatures.

Avec 0,35% des électeurs, ce nombre de signatures dépassait le pourcentage de 0,25% établi par loi pour obtenir la qualification d'initiative préférentielle.

L'initiative a donc été transmise à la Commission des Affaires Constitutionnelles et des Initiatives Citoyennes du Congrès de Mexico, afin qu'elle l'examine et procède à des auditions.

● Mais un député Morena a déposé un recours auprès de la Cour Supérieure de Justice de la ville de Mexico, arguant qu'il fallait évaluer les répercussions d'une telle interdiction. Ce député était Alberto Banegas, connu pour être un ami de Pedro Haces Lago, autre député Morena fils de Pedro Haces Barba, qui fait partie du milieu tauromachique.
Suite à ce recours, le 3 mars, la Chambre Constitutionnelle de la Cour Supérieure de Justice a ordonné au Congrès de suspendre les discussions.
Mais le 10 mars, elle a annoncé que cette demande n'était pas du ressort du pouvoir judiciaire, et était donc irrecevable.

Les discussions ont repris le 12 mars dans une ambiance houleuse, avec des manifestations autour du Congrès opposant pro-corridas et anti-corridas.

● Le 13 mars, la cheffe du gouvernement de la ville de Mexico, Clara Brugada, a fait une annonce qui a bouleversé la donne : elle a proposé non pas une interdiction des corridas, mais une réglementation de celles-ci supprimant les blessures et la mise à mort.
Claudia Sheinbaum, la présidente mexicaine, avait évoqué une telle réglementation la veille (12 mars), puis l'a approuvée le lendemain (14 mars), à l'occasion de ses conférences de presse matinales. En fait elle évoquait cette possiblité depuis un certain temps, par exemple en octobre 2024.
Claudia Sheinbaum et Clara Brugada sont du même parti majoritaire à l'échelon national comme à l'échelon local, le parti Morena, et il est clair que cette décision a fait l'objet de réflexions au sein du parti.

Les associations anti-corridas comme les députés anti-corridas ont accepté cette proposition, qui avait donc de grandes chances d'être adoptée par une majorité de députés. Même si les associations précisent ne pas lâcher l'objectif de l'abolition pure et simple des corridas.

● Le 14 mars, la Commission des Affaires Constitutionnelles et des Initiatives Citoyennes du Congrès local a approuvé à l'unanimité la proposition de réglementation. 

● Et enfin, le 18 mars, le Congrès de la ville de Mexico a adopté en séance plénière la loi de réglementation à la quasi-unanimité, par 61 voix pour et 1 voix contre.
La seul vote "contre" est venu de Pedro Haces Lago, qui est comme nous le mentionnions plus haut le fils de Pedro Haces Barba, personnage influent du milieu tauromachique. Ce dernier est député à l'échelon fédéral (Chambre des députés), également sous l'étiquette Morena.

Donc les taureaux ne pourront plus être blessés par des instruments, ne pourront plus être mis à mort, et leurs cornes seront recouvertes pour qu'ils ne puissent pas blesser les chevaux (ou les toreros).
Ce concept de corridas "incruentas" ou "sin sangre" a été évoqué à plusieurs reprises depuis des années. Cependant il n'avait été mis en œuvre que par le Parlement des Baléares, qui avait introduit en juillet 2017 une réglementation comparable, mais en décembre 2018, le Tribunal constitutionnel espagnol, fidèle à lui-même, avait annulé cette décision.

Congrès de la ville de Mexico


Conclusion

Ce choix d'une réglementation plutôt qu'une interdiction a été fait pour contrecarrer les arguments de la tauromachie (l'atteinte à la tradition, à la culture, à l'identité, et les répercussions sur l'économie, sur les emplois, sur les élevages) et pour rassembler les partis politiques.
Le milieu taurin mexicain met en avant depuis des années les dizaines de milliers d'emplois directs ou indirects et les flux économiques soi-disant générés par le secteur tauromachique. Quand bien même les chiffres avancés sont exagérés, le pouvoir en place pense devoir montrer qu'il prend en compte les difficultés économiques qu'a affrontées le Mexique en 2024, et surtout les perspectives inquiétantes générées par les annonces d'Ubu Trump.

Bien entendu, le monde mexicain de la corrida craint que l'absence de sang et de mort déplaise aux amateurs de corrida et qu'il s'ensuive une baisse de fréquentation des arènes mettant en péril son business. Il a commencé à protester avec virulence, et il faut s'attendre à ce qu'il tente tous les recours juridiques possibles, mais on peut penser que ceux-ci resteront vains.

En tout cas, le résultat spectaculaire de ce processus peut donner à réfléchir aux opposants à la corrida sanglante de tous les pays. Si nous avons évoqué dans cet article, sans doute au risque de lasser le lecteur, les hésitations, les allers et retours, les dissensions et les obstructions qui accompagnèrent ces dernières années toutes les démarches visant la corrida, c'est bien pour les mettre en balance avec ce vote à la quasi-unanimité qui vient d'avoir lieu. 

 

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