Lire les interventions des professionnels à la conférence de presse
Lors de la conférence de presse du 9 juin 2010 organisée à l'Assemblée Nationale, Mme Marland-Militello et Mme Gaillard ont présenté le Groupe parlementaire d'Études sur la protection animale, annoncé leur proposition de loi commune pour la suppression de la corrida, et retracé l'historique de cette proposition.
Ont également pris la parole Jean-François Courreau, Marie-Claude Bomsel, Michel Klein, Francesc Minguell (AVAT), Nathalie Milhas et Jean-Paul Richier.
Voici les textes que nous avons reçus des interventions de ces derniers.
Jean-François Courreau (vétérinaire, professeur à l'ENVA)
C'est en temps qu'enseignant-chercheur, vétérinaire et zootechnicien, c'est-à-dire spécialiste de l'élevage des espèces domestiques, que j'ai voulu apporter ma contribution au mouvement d'opposition à la corrida.
Par mon métier, je sais que l'élevage de l'animal domestique en vue de son exploitation par l'homme oblige à un délicat compromis entre son bien-être et la recherche d'un revenu décent pour l'éleveur. J'accepte ce compromis. Il ne place pourtant pas l'animal dans une situation de bien-être tel que je pourrais, comme beaucoup d'autres, le souhaiter.
Cependant, ce que je ne peux pas accepter, c'est la négation consciente, délibérée du droit au bien-être de l'animal pour l'exploiter dans un but purement ludique.
J'enseigne l'ethnologie et la génétique. En tant que tel, je suis admiratif de la sélection empirique qui a conduit au Toro Bravo, race de toute beauté et de fort tempérament.
Pour autant, je dénonce cette sélection qui vise à produire des animaux que l'on dit aptes au combat et qui ne sont en fait que contraints à se défendre. Comment peut-on sélectionner une race pour que son destin inexorable soit de mourir dans un combat dédié au plaisir de l'homme qui regarde?
Je suis aussi naturaliste et je n'oublie pas l'entretien de certains écosystèmes par la pratique de l'élevage extensif. Je me demande s'il y a un rapport entre cette défense de l'environnement et le leitmotiv anthropomorphique qui veut que le taureau de combat a une très belle vie avant de mourir.
De toutes façons, en restant justement dans une perspective anthropomorphique, combien, parmi ceux qui contemplent sa mort lente dans la souffrance, accepteraient la fin du taureau pour eux-mêmes avec la consolation d'avoir bien vécu avant?
Quoi encore? Les défenseurs de ce spectacle parlent de résistance à la douleur chez une race sélectionnée pour se battre : je réfute les résultats des mauvaises démonstrations cherchant à prouver l'absence de douleur!
L'enseignement sur le bien-être et la capacité à souffrir de l'animal progresse dans la société française. Les écoles vétérinaires l'ont heureusement parfaitement intégré dans leurs programmes.
Mais comment le faire admettre pleinement quand des actes qu'on peut qualifier de barbares sont encore tolérés officiellement?
Voilà, je me suis posé beaucoup de questions et j'ai cherché à comprendre les arguments des aficionados.
Mais j'ai fini par trancher et je me suis engagé. Tout simplement parce qu'il est inadmissible, insupportable que l'homme se permette de tuer un animal pour le plaisir d'un spectacle, qui n'est une longue suite de tourments infligés au taureau avant qu'il ne soit délivré par la mort.
Par mon métier, je sais que l'élevage de l'animal domestique en vue de son exploitation par l'homme oblige à un délicat compromis entre son bien-être et la recherche d'un revenu décent pour l'éleveur. J'accepte ce compromis. Il ne place pourtant pas l'animal dans une situation de bien-être tel que je pourrais, comme beaucoup d'autres, le souhaiter.
Cependant, ce que je ne peux pas accepter, c'est la négation consciente, délibérée du droit au bien-être de l'animal pour l'exploiter dans un but purement ludique.
J'enseigne l'ethnologie et la génétique. En tant que tel, je suis admiratif de la sélection empirique qui a conduit au Toro Bravo, race de toute beauté et de fort tempérament.
Pour autant, je dénonce cette sélection qui vise à produire des animaux que l'on dit aptes au combat et qui ne sont en fait que contraints à se défendre. Comment peut-on sélectionner une race pour que son destin inexorable soit de mourir dans un combat dédié au plaisir de l'homme qui regarde?
Je suis aussi naturaliste et je n'oublie pas l'entretien de certains écosystèmes par la pratique de l'élevage extensif. Je me demande s'il y a un rapport entre cette défense de l'environnement et le leitmotiv anthropomorphique qui veut que le taureau de combat a une très belle vie avant de mourir.
De toutes façons, en restant justement dans une perspective anthropomorphique, combien, parmi ceux qui contemplent sa mort lente dans la souffrance, accepteraient la fin du taureau pour eux-mêmes avec la consolation d'avoir bien vécu avant?
Quoi encore? Les défenseurs de ce spectacle parlent de résistance à la douleur chez une race sélectionnée pour se battre : je réfute les résultats des mauvaises démonstrations cherchant à prouver l'absence de douleur!
L'enseignement sur le bien-être et la capacité à souffrir de l'animal progresse dans la société française. Les écoles vétérinaires l'ont heureusement parfaitement intégré dans leurs programmes.
Mais comment le faire admettre pleinement quand des actes qu'on peut qualifier de barbares sont encore tolérés officiellement?
Voilà, je me suis posé beaucoup de questions et j'ai cherché à comprendre les arguments des aficionados.
Mais j'ai fini par trancher et je me suis engagé. Tout simplement parce qu'il est inadmissible, insupportable que l'homme se permette de tuer un animal pour le plaisir d'un spectacle, qui n'est une longue suite de tourments infligés au taureau avant qu'il ne soit délivré par la mort.
Nathalie Milhas (vétérinaire, praticienne à Fenouillet, 31)
Une histoire des corridas à Fenouillet
Ou
Comment se retrouver impliquée dans la lutte anti-corrida
et ce que l’on y découvre
Il était une fois un journal régional, « la Dépêche du Midi », qui un jour de décembre 2002 annonça que des corridas allaient avoir lieu à Fenouillet, petite ville de cinq mille habitants dans la banlieue de Toulouse. Quelques mois plus tard, l’annonce se confirma, et la première édition des corridas et de la féria eut lieu, fin juin 2003. Elle fut suivie de quatre autres saisons, jusqu’en 2007. Au total, cent quarante-huit taureaux auront été massacrés.
La réaction locale fut la création, dès le printemps 2003, de l’association Fenouillet Anti-Corrida. Pourquoi ?
Tout d’abord par une réaction « viscérale », émotionnelle, face à cette violence annoncée qui heurtait notre sensibilité. Oui, le taureau souffre ! Et un Homme digne de ce nom -à plus forte raison un vétérinaire- ne peut pas rester insensible à cette souffrance. Si le moteur des aficionados est l’émotion (leur leitmotiv !), celui des anti-corridas est assurément la compassion.
La proximité géographique a joué un rôle fondamental dans notre prise de conscience, par une sorte de réaction identitaire : sentiment d’être dessaisis de notre village, trahis par notre propre maire. Inutile de dire que les relations avec ledit maire ont rapidement tourné au conflit ouvert, qui s’est terminé par sa défaite aux dernières élections municipales, entraînant (indirectement) la fin des corridas de Fenouillet. Sentiment aussi d’être trahis par les juges, qui ont considéré qu’une « tradition locale ininterrompue » existait dans tout le sud de la France. Comme si les dernières corridas de Toulouse, en 1976, et la nostalgie qui en persiste dans quelques bars ou clubs taurins, justifiaient leur introduction à Fenouillet ! Volonté enfin de s’opposer à la « pensée unique » : non, tout le monde n’applaudit pas des deux mains à ce spectacle sordide, malgré les discours enthousiastes des organisateurs et de moult journalistes !
De saison en saison, nous en avons appris de plus en plus sur ce monde taurin, le « mundillo » (oui, parce que c’est une tradition française, mais il faut quand même parler espagnol, vous comprenez ?!) : contournement de toutes les règlementations, en particulier sanitaires ; fraudes à leur propre règlement taurin ; imposture culturelle et intellectuelle ; sponsorisation officielle des médias, et vraisemblablement officieuse des partis politiques ; dilapidation des finances publiques pour renflouer les spectacles -privés- déficitaires (au final, les cinq éditions de Fenouillet auront coûté six cents mille euros aux collectivités territoriales !). Le mundillo, ce sont aussi les trahisons diverses entre associés et organisateurs, un monde de fétichisme et de superstitions, l’hypocrisie d’un public sanguinaire et d’un spectacle pervers qui ne s’assument pas…
La liste est longue des bassesses humaines qui transparaissent dans tout cela. La corrida, si elle est un symbole, est surtout celui de la petitesse de l’Homme et de sa triste condition. Rien d’étonnant, donc, à ce qu’un psychiatre et deux vétérinaires se soient rejoints pour initier ce collectif !
Michel Klein (vétérinaire, auteur, chroniqueur audiovisuel)
Ayant vécu en Espagne, j’ai connu les novilladas, les corridas, les élevages, ainsi que la sélection des vaches reproductrices des futurs « toros bravos », à une époque où il y avait autant d’aficionados qu’aujourd’hui de fanas du football. A l’époque il n’y avait aucun contradicteur. Les rapports des soi-disant humains avec les Bêtes ont évolué. Les corridas sont des réminiscences des gladiateurs du temps des Romains. Infliger des souffrances avec les banderilles et les picadors sont des actes barbares, inutiles, démontrent la faiblesse de l’homme face à l’animal. Il n’y a là aucune bravoure !!! Quant au torero, son allure et ses mouvements « esthétiques », ne prouvent pas non plus sa supériorité. Si le taureau entrait dans l’arène en même temps que le matador, ils seraient à potentialité des forces comparables et ceci pourrait éventuellement constituer un combat plus honnête.
La corrida actuelle donne l’impression d’un enfant handicapé martyrisé par des garnements mal élevés dans une cour de récréation.
C’est littéralement pitoyable de martyriser ces taureaux, même si les bovins sont destinés à notre consommation…
Marie-Claude Bomsel (vétérinaire, professeur au MNHN, auteur, chroniqueuse TV)
Si on peut comprendre qu'au temps de la domestication des bovins, il y a quelques milliers d'années, le combat entre le taureau et l'Homo sapiens ait entraîné de la cruauté du fait de la méconnaissance de l'animal et de sa physiologie, il est inadmissible qu'à notre époque, heureusement soucieuse du bien-être animal, la corrida puisse exister. Quant à se réfugier dans une phraséologie soi-disant culturelle ou pseudo-scientifique (la joie de la souffrance confirmée par la présence d'endorphine, censée être l'hormone du plaisir !?!) cela dépasse l'entendement.
Francesc Minguell (vétérinaire, représentant de l'AVAT)
L’Association des Vétérinaires pour l’Abolition de la Tauromachie (AVAT), a été mise en place en Espagne en juin 2008. Depuis sa création, nous avons travaillé pour faire connaître au grand public et aux législateurs les mauvais traitements et la souffrance auxquels sont soumis les taureaux pendant la corrida. Pour cela, nous avons apporté des données scientifiques qui démontrent que cet animal ne doit pas être soumis à ce spectacle cruel.
En plus d’avoir participé à des colloques dans des nombreux medias en Espagne, l'AVAT a présenté plusieurs communications, y compris au Parlement Européen de Bruxelles et au Forum Mondial des Animaux à Barcelone.
Récemment, nous avons été auditionnés par la Commission de l’Environnement du Parlement de Catalogne, dans le cadre de l’Initiative Législative Populaire pour l’abolition de la corrida dans cette région. Dans ce cadre, nous avons contredit point par point une étude dans laquelle était mise en cause la souffrance du taureau durant la corrida, au prétexte que celui-ci serait un animal spécial.
Nous sommes heureux de pouvoir annoncer que les affirmations initiales de cette étude (qui n’ont été publiées dans aucune revue scientifique avec un comité de lecture) ont été considérablement nuancées a posteriori et que maintenant il est reconnu que ces animaux souffrent d’un grand stress et d’une intense douleur pendant la corrida. Nos explications et nos arguments, qui se basent sur une analyse approfondie et exhaustive d’études scientifiques sur le stress et les réponses du système neuroendocrinien des mammifères, ont provoqué ce changement.
En tant que vétérinaires, nous croyons que le bien être animal doit passer avant toute considération culturelle, artistique ou économique et c’est un grand honneur pour nous d’assister à cette conférence, qui unit le sentiment de nombreux vétérinaires espagnols avec celui de nombreux collègues français. N’oublions pas que notre profession collabore hélas activement à ce spectacle dégradant, et que sans nous « la Fiesta », comme on dit en Espagne, n’existerait pas.
Nous devons assumer une position progressiste d’après une vision scientifique, en nous rappelant qu’un des plus importants héritages scientifiques du XXe siècle a été la démonstration que de nombreux animaux, notamment les mammifères, sont des êtres dotés d’un système nerveux central parfaitement développé, capables d’éprouver la souffrance de la même façon que les êtres humains. La tauromachie, en tant que spectacle relayé, au-delà des arènes, dans l'espace public, conforte une idée faussée des animaux. Elle les présente comme de simples choses, contribuant à la mauvaise éducation des nouvelles générations sur cette question, et empêchant que la société avance de façon naturelle vers la considération et le respect que nous devons avoir envers les animaux.
La science est une des principales sources d’inspiration des Lois ; le progrès scientifique constitue alors un déclencheur du changement législatif et social. La question que nous devons nous poser est : Que devons nous changer dans notre société depuis que la science nous a confirmé que de nombreux animaux sont des êtres dotés de sensibilité?
Nous espérons que cette question obtienne une réponse à un niveau moral au Parlement de Catalogne, où la corrida pourrait être abolie dans un futur prochain à travers un processus législatif, et nous applaudissons la proposition de loi pour supprimer la corrida en France.
Jean-Paul Richier (psychiatre)
Les défenseurs des animaux s'entendent régulièrement dire « Occupez-vous donc d'abord des hommes ! ». Mais tenter de remédier à la détresse humaine n'empêche pas de tenter de remédier aussi à la détresse animale. Car, si pour se préoccuper du sort que les hommes font aux animaux, il faut d'abord attendre que l'humanité toute entière baigne dans le bien-être, ceci risque de reporter la question un peu loin.
De même, les adversaires de la corrida peuvent s'entendre dire « Occupez-vous plutôt des milliards d'animaux qui souffrent de l'élevage et l'abattage industriels ». Mais ce n'est pas en termes quantitatifs que se pose la question de la corrida. C'est en termes symboliques. En effet, s'agissant d'un spectacle délibérément cruel qui met en scène des hommes contre des animaux, elle symbolise une approche très particulière de la relation homme-animal, basée sur la domination, la prédation et la violence. Et c'est pour ça qu'elle soulève autant de passions de part et d'autre.
Comment les aficionados, les amateurs de corridas, se justifient-ils ? Au fur et à mesure que les mentalités ont évolué, le libre exercice de la violence et de la cruauté, d'abord assumé comme tel, a laissé place à des considérations artistiques et culturelles. Le mundillo, le petit monde de la corrida, décline également des considérations historiques, mythologiques, anthropologiques, fort contestables et fort contestées. Certains assument la dimension violente de la corrida, mais pour prétendre que cette violence codifiée protègerait le corps social, au titre d'une fonction sacrificielle ou d'un effet cathartique. Dans nos sociétés modernes, il s'agit d'une pure imposture, on observe au contraire que la violence attire la violence. Et les derniers arguments à la mode des partisans de la corrida sont d'ordre écologique ou d'ordre économique, mais ne résistent guère à l'analyse. Sur ce dernier point, le monde de la corrida fonctionne sur le bon vieux principe de la privatisation des profits et la socialisation des pertes.
L'ultime défense du monde de la corrida consiste à faire passer ses adversaires pour des extrémistes incultes, mus par la sensiblerie.
Malheureusement pour lui, un nombre croissant de professionnels de divers horizons condamnent fermement la corrida. On y trouve des philosophes, des historiens, des psychiatres, des psychologues, des juristes, des biologistes, des éthologues... Et tout naturellement, on y trouve des vétérinaires, dont le métier est de connaître les animaux. Ainsi, l'implication publique de vétérinaires dans la dénonciation de la corrida est à mon sens une étape de toute première importance.
De même, les adversaires de la corrida peuvent s'entendre dire « Occupez-vous plutôt des milliards d'animaux qui souffrent de l'élevage et l'abattage industriels ». Mais ce n'est pas en termes quantitatifs que se pose la question de la corrida. C'est en termes symboliques. En effet, s'agissant d'un spectacle délibérément cruel qui met en scène des hommes contre des animaux, elle symbolise une approche très particulière de la relation homme-animal, basée sur la domination, la prédation et la violence. Et c'est pour ça qu'elle soulève autant de passions de part et d'autre.
Comment les aficionados, les amateurs de corridas, se justifient-ils ? Au fur et à mesure que les mentalités ont évolué, le libre exercice de la violence et de la cruauté, d'abord assumé comme tel, a laissé place à des considérations artistiques et culturelles. Le mundillo, le petit monde de la corrida, décline également des considérations historiques, mythologiques, anthropologiques, fort contestables et fort contestées. Certains assument la dimension violente de la corrida, mais pour prétendre que cette violence codifiée protègerait le corps social, au titre d'une fonction sacrificielle ou d'un effet cathartique. Dans nos sociétés modernes, il s'agit d'une pure imposture, on observe au contraire que la violence attire la violence. Et les derniers arguments à la mode des partisans de la corrida sont d'ordre écologique ou d'ordre économique, mais ne résistent guère à l'analyse. Sur ce dernier point, le monde de la corrida fonctionne sur le bon vieux principe de la privatisation des profits et la socialisation des pertes.
L'ultime défense du monde de la corrida consiste à faire passer ses adversaires pour des extrémistes incultes, mus par la sensiblerie.
Malheureusement pour lui, un nombre croissant de professionnels de divers horizons condamnent fermement la corrida. On y trouve des philosophes, des historiens, des psychiatres, des psychologues, des juristes, des biologistes, des éthologues... Et tout naturellement, on y trouve des vétérinaires, dont le métier est de connaître les animaux. Ainsi, l'implication publique de vétérinaires dans la dénonciation de la corrida est à mon sens une étape de toute première importance.