L'abolition est reportée
Ce 24 novembre 2022 était discutée en séance publique la proposition de la loi (PPL) visant à l'abolition de la corrida, dans le cadre de la niche parlementaire de La France Insoumise à l'Assemblée nationale.
Le 24 novembre 2022 était le jour de la niche parlementaire de LFI. Il s'agit d'une des très rares journées durant laquelle un groupe d'opposition peut mettre des propositions à l'ordre du jour.
La discussion sur la PPL pour l'abolition de la corrida était très attendue, d'autant que le groupe LFI lui avait in extremis attribué la deuxième place, après la PPL constitutionnelle pour le droit à l'IVG et à la contraception (laquelle a été largement adoptée).
Les débats sur l'abolition de la corrida, consultables sur le site vidéo de l'Assemblée, ont commencé vers 17 heures.
Aymeric Caron, en tant qu'initiateur de la PPL et rapporteur de la Commission des lois, a d'abord présenté sa proposition.
Puis Dominique Faure, la secrétaire d'État chargée de la ruralité est intervenue en tant que représentante du gouvernement. Au terme d'un laborieux galimatias visant entre autres à faire croire que ledit gouvernement était sensible à la condition animale, elle a invité les députés « à voter contre cette proposition de loi ».
Ensuite la discussion générale a commencé, mais, au terme de la première intervention, Aymeric Caron a demandé la parole.
C'est cette prise de parole brève (de 17h27 à 17h33), mais extrêmement houleuse, que nous mettons en ligne ci-dessous.
Il y a tout simplement annoncé le retrait de sa PPL, en raison de l'avalanche d'amendements d'obstruction, déposés par les députés au service du lobby tauromachique en vue de rendre impossible un débat normal avant l'heure seuil de minuit. En effet, après les interventions des représentants des différents groupes politiques, il aurait fallu discuter près de 480 amendements (ceci en ne comptant pas les amendements classés irrecevables ou retirés sur les 766 amendements et sous-amendements initiaux).
Sans parler des procédés d'obstruction encore plus mal connus du grand public, comme la multiplication des "rappels au règlement", qui permettent à tout député de prendre la parole durant deux minutes, ou des "demandes de suspension de séance" de cinq minutes, que peut notamment demander tout président de groupe ou son délégué.
Aymeric Caron a donc fait le choix de libérer la niche parlementaire LFI de ces chicanes inutiles qui de toute façon n'auraient abouti qu'à se heurter à l'heure seuil, afin de ne pas faire perdre leur temps aux députés et de permettre au groupe LFI de présenter un ou deux autres textes.
Extraits :
« Au moment où je vous parle, aucun [amendement d'obstruction] n'a été retiré. Il reste plus de 480 amendements à étudier. Avec un rythme de 20 amendements à l'heure, ça représente 24 heures de débat.
[…]
Je dois bien me rendre à l'évidence, nous ne pourrons pas abolir la corrida en France aujourd'hui.
[…]
Ce qui se passe aujourd'hui n'est pas une fin, ce n'est qu'un début. Avec mes collègues de la France Insoumise, je vais déposer une nouvelle proposition de loi, transpartisane, qui sera inscrite à nos débats dans le cadre d'une semaine de l'Assemblée.
[…]
Madame la Présidente, vous l'avez compris, pour aujourd'hui malheureusement je suis contraint de retirer ce texte. »
Ce qui vient de se dérouler amène à deux sortes de conclusions :
- D'abord, le lobby tauromachique se sent tellement au bord du précipice qu'il a dû avoir recours, via ses quelques élus affidés, à des procédures d'obstruction afin d'éviter un débat et un vote qui aurait pu lui être fatal.
- Ensuite, ceci pose un réel problème quant au processus démocratique français.
D'autant plus que la plupart des amendements d'obstruction étaient présentés par une poignée de députés clientélistes, seuls ou parfois accompagnés d'un ou quelques collègues, au premier rang desquels (sur les 766 amendements initialement déposés) :
- Yoann Gillet (RN) : 157 amendements,
- David Habib (Non Inscrit) et David Taupiac (groupe LIOT), binôme de socialistes "dissidents" : 115 amendements,
- Nicolas Meizonnet (RN) : 71 amendements,
- Emmanuelle Ménard (Non Inscrite, proche du RN) : 66 amendements,
- Rémy Rebeyrotte (Renaissance) : 38 amendements,
- Florence Lasserre et/ou Fabien Lainé (Modem et Indépendants) : 79 amendements,
- Patrick Vignal et/ou Jean-René Cazeneuve et/ou Marie Lebec (Renaissance) : 58 amendements,
- Emmanuel Taché de la Pagerie et/ou Christine Loir (RN) : 48 amendements.
Soit, pour cette poignée de députés, 632 amendements sur 766 (342 venant du RN ou proche, 96 de Renaissance, 79 du Modem, et 115 d'une paire d'ex-socialistes).
Il semble donc nécessaire, à la lumière de cet exemple :
- soit de reviser les limites horaires des "niches" des groupes d'opposition,
- soit, plus simplement, de reviser le concept de "recevabilité" d'un amendement.