Le Conseil de l'Ordre va émettre un avis sur la corrida
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Comme vous le savez sans doute, sous ma présidence - et cela faisait d'ailleurs partie de ma profession de foi - l'Ordre a souhaité conduire une réflexion éthique sur la relation entre l'homme et les animaux. Plus concrètement j'ai souhaité qu'un débat interne s'engage à la fois sur les questions de société relatives au statut juridique des animaux et sur le positionnement de la profession de vétérinaire face aux questions maintenant débattues dans ce qui est parfois dénommé « l'éthique animale ». C'est la raison pour laquelle, lors de ma réélection à la présidence du Conseil supérieur en décembre 2013, j'ai tenu à ce qu'un pôle de réflexion dénommé pôle « profession vétérinaire et éthique animale » fût créé au sein du Conseil. Il est animé par notre consoeur Ghislaine Jançon, laquelle a fait désigner un référent « éthique animale » au sein de chaque conseil régional ordinal. La mobilisation n'a véritablement commencé que lors du congrès ordinal de Lyon en octobre 2014. Une réunion des vingt conseillers référents « éthique animale » s'est tenue à Paris en janvier de cette année, et des groupes de travail sur les grandes questions sociétales actuelles ont été constitués, notamment sur la corrida. L'Ordre a pris l'initiative d'organiser cette année en novembre au Palais du Luxembourg son premier colloque consacré à ces questions. Le thème en sera « le vétérinaire garant du bien-être animal ». Incontestablement la mobilisation est engagée. Mais je dois vous rappeler que nous partions d'une absence de préoccupation ordinale pour ces questions.
La question de la corrida fait donc partie de la liste de questions d'éthique animale à traiter que le groupe de réflexion a établie, avec un ordre de priorité entre elles (la première priorité retenue a été l'étourdissement avant abattage). Mais le sujet de la corrida a paru nécessiter un délai afin d'émettre un avis scientifique le mieux documenté et argumenté possible ; d'ailleurs les informations que vous diffusez et vos prises de position contribueront à la connaissance du sujet par les élus ordinaux. Attendez-vous d'ailleurs à être sollicités et reçus en délégation par notre consoeur Jançon qui se réservera également la possibilité d'entendre nos confrères de l'Association des vétérinaires taurins français.
Je vais transmettre votre lettre au pôle ad hoc afin que l'ensemble des élus de notre ordre professionnel réfléchisse très posément et sereinement, sans esprit de polémique, à la question que vous soulevez. Un avis sera de toute manière émis, on peut l'espérer, dès 2016.
Je vous prie de croire, Chers confrères, à l'assurance de mes sentiments les meilleurs.
Le Président
DV Michel BAUSSIER
Le Dr Michel Baussier et la réflexion éthique
Michel Baussier, qui en est à son deuxième mandat de président de l'Ordre, et membre par ailleurs de l'Académie vétérinaire de France, a déjà montré sa détermination à inclure les animaux dans la sphère de la réflexion éthique.
Pour s'en tenir à ces deux dernières années :
Lors de ses vœux en janvier 2014, il souhaitait dans sa conclusion que « la profession vétérinaire tout entière s’associe spontanément cette année à la réflexion sur le statut de l’animal », et enchaînait « C’est tout l’honneur d’une profession au service de la protection animale que de s’interroger, aujourd’hui, en 2014, au vu des connaissances scientifiques nouvelles, sur le continuum, ne serait-ce que de sensibilité notamment - qui existe entre les animaux et l’homme et de prendre la part qui lui revient au débat d’idées. »
Dans son intervention lors du colloque Nous et l’Animal tenu au Sénat en février 2014, il insistait sur l'évolution spectaculaire de l'enseignement aux étudiants vétérinaires « leur formation initiale prend en compte l’éthologie, le bien-être et la bien-traitance animales, les disciplines médicales et chirurgicales s’attachent à traiter la douleur avec autant de soin qu’en médecine humaine. Les méthodes pédagogiques, partout dans les facultés vétérinaires, chassent les travaux pratiques inutiles sur les animaux vivants, par exemple en physiologie. » et soulignait que « Le code de déontologie des vétérinaires de France impose le respect dû à l’animal. ». Et sa conclusion était claire : « je fais partie de ceux qui croient, de façon générale et bien au-delà du cas particulier des seuls vétérinaires, que c’est essentiellement par l’éducation que le progrès de la connaissance de notre relation à l’animal et qu’en définitive le progrès tout court de notre relation à l’animal passera. »
Et lors de ses vœux en janvier 2015, il montrait qu'il était toujours particulièrement attentif au rôle des vétérinaires dans les débats de société sur le statut de l'animal et les relations hommes-animaux :
« les citoyens semblent ne pas toujours bien comprendre le silence de notre institution sur certaines questions majeures qu’ils se posent concernant les vétérinaires.
Il en est une aujourd’hui, c’est la question sociétale de la relation entre l’homme et l’animal ou plutôt l’homme et les animaux. Mais la profession pourrait aussi et devrait même s’exprimer en matière de classique protection animale, tout simplement.
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En 2015, l’Ordre, selon toute vraisemblance, s’engagera sur quelques questions-phares qui touchent, de façon factuelle, pragmatique, à la douleur animale et à ce qui au demeurant s’impose déontologiquement au vétérinaire, à savoir le respect dû à l’animal.
[…]
je forme le vœu qu’en 2015 le vétérinaire […] ne relâche pas son effort dans la protection animale elle-même et que cela soit enfin reconnu. Je souhaite qu’il s’engage dans le débat de société sur la place des animaux dans leur relation à l’homme. »
Les nouveautés de la dernière version du code de déontologie
Dans notre lettre au CSOV, nous nous étions référés par simplicité au code de déontologie vétérinaire qui régissait nos pratiques depuis douze ans.
Ce code fait comme on sait l'objet d'une nouvelle version depuis mi-mars 2015. A côté des nouveautés les plus commentées (libéralisation de la communication externe, définition des lieux d'exercice, renforcement du contrôle par l'Ordre des contrats conclus dans le cadre de l'exercice…), deux nouveautés méritent aussi un commentaire :
Premièrement, le VII de l'article R. 242-33, point fourre-tout qui énonçait « Le vétérinaire prend en compte les conséquences de son activité professionnelle sur la santé publique et sur l'environnement et respecte les animaux. » est décomposé en trois points :
« VII. - Le vétérinaire prend en compte les conséquences de son activité professionnelle sur la santé publique notamment en matière d'antibiorésistance.
VIII. - Le vétérinaire respecte les animaux.
IX. - Le vétérinaire prend en compte les conséquences de son activité professionnelle sur l'environnement. »
On notera donc que l'obligation de respect des animaux fait désormais l'objet d'une subdivision comme telle.
Deuxièmement, l'article R. 242-48 (Devoirs fondamentaux) est enrichi d'un V ainsi formulé :
« V. - Lorsqu'il se trouve en présence ou est informé d'un animal malade ou blessé, qui est en péril, d'une espèce pour laquelle il possède la compétence, la technicité et l'équipement adapté […], il s'efforce, dans les limites de ses possibilités, d'atténuer la souffrance de l'animal et de recueillir l'accord du demandeur sur des soins appropriés. […] »
On notera que le code de déontologie, contrairement au code pénal, ne prévoit pas d'alinéa dérogatoire « lorsqu'une tradition locale ininterrompue peut être invoquée », hélas pour les vétérinaires « taurins », qui utilisent leur compétence à vérifier que le taureau est soumis à des « sévices graves et actes de cruauté » dans les règles de l'art.
En conclusion, nous sommes naturellement à la disposition des élus ordinaux pour documenter la question de la corrida au XXIème siècle.