LETTRE OUVERTE au CSOV
Collectif des Vétérinaires pour l’Abolition de la Corrida.
Le 24 mai 2015,
Monsieur le Président du Conseil supérieur de l’Ordre des vétérinaires,
Mesdames et Messieurs les membres du Conseil supérieur de l’Ordre des vétérinaires,
Le COVAC (Collectif des Vétérinaires pour l’Abolition de la Corrida) a été créé en 2010 pour faire abolir la corrida en France, pratique cruelle envers les animaux puisqu’elle consiste à supplicier des bovins en public avec des souffrances injustifiables aujourd’hui.
Le COVAC est soutenu à ce jour par plus de 1800 vétérinaires. La liste des vétérinaires est consultable par ordre alphabétique sur : http://www.veterinaires-anticorrida.fr/
Le COVAC tient aujourd’hui à informer le Conseil supérieur de l’Ordre que certains confrères et consoeurs défendent la corrida, notamment à travers l’AFVT (Association Française des Vétérinaires Taurins), créée en 1991 et qui a pour seul objet la promotion de la corrida.
Le COVAC s’interroge en effet sur la question du respect du code de déontologie par ces vétérinaires de l’AFVT ainsi que sur l’image de la profession qu’ils véhiculent en cautionnant ce spectacle.
1- L’AFVT soutient un spectacle pourtant catégorisé comme acte de cruauté envers les animaux par la loi française
Aujourd’hui, l’AFVT regroupe environ 70 vétérinaires, avec comme activités l’étude des cornes, les suivis sanitaires des bovins et chevaux, les soins aux chevaux blessés, et les soins aux taureaux graciés, ou encore des missions plus précises comme par exemple des études sur la pique et son utilisation.
La corrida est un spectacle qui se pratique uniquement dans 11 départements français, puisqu’elle est mentionnée par le code pénal dans le chapitre « sévices graves (…) ou acte de cruauté envers un animal ». Elle y fait l’objet d’une dérogation pénale (alinéa 7 de l’article 521-1) qui l’autorise dans certaines zones françaises, avec comme seul argument celui de la tradition.
L’article 521-1 du code pénal énonce en effet que :
« Le fait, publiquement ou non, d'exercer des sévices graves ou de commettre un acte de cruauté envers un animal domestique, ou apprivoisé, ou tenu en captivité, est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende. »
Mais il précise que :
« Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux courses de taureaux lorsqu'une tradition locale ininterrompue peut être invoquée. »
2- L’histoire de la corrida en France est récente et son implantation a toujours été combattue par une large majorité, totalement opposée à la cruauté gratuite envers les animaux
Il faut rappeler que la corrida, spectacle d’origine espagnole, ne s’est implantée en France qu’à partir du milieu du XIXème siècle, et en fait plus précisément au cours des années 1880-1890 à la faveur du regain du régionalisme, soit récemment contrairement à ce qu’il est commun d’entendre. Et il faut rappeler également qu'elle s'est implantée, durant cette période, au mépris de plusieurs circulaires ministérielles l'interdisant, et au mépris de plusieurs arrêts de la Cour de cassation confirmant cette interdiction. Ainsi pendant près d’un siècle, les corridas furent organisées illégalement en France et la tolérance dont elles font l’objet aujourd’hui n’a été légalisée que le 24 avril 1951.
3- La corrida : une agonie de vingt minutes par lésions graves et multiples à l’arme blanche.
Pour chaque bovin mis à mort, le spectacle de la corrida se divise en trois parties (tercios), la première partie correspond à l’utilisation des piques, la seconde à la pose des banderilles, pour se terminer par une mise à mort à l’aide d’une épée puis en règle d’un poignard (puntilla).
Les lésions causées par ces armes blanches ont été très étudiées dans la mesure où le défi principal est d’affaiblir suffisamment le bovin afin qu’il soit moins dangereux pour le torero, mais sans le tuer. En effet, l’animal doit survivre pendant vingt minutes, durée idéale d’un spectacle.
La thèse pour le doctorat vétérinaire de Marie-Laurence Ferret publiée en 2005 « Bases anatomiques et physiologiques de la sélection et du comportement du taureau de combat » reprend les objectifs de l’utilisation de ces armes, ainsi que les lésions qu’elles provoquent.
« C’est au cours du tercio de pique que l’on observe les lésions musculaires les plus importantes, Elle permet (…) d’abaisser l’encolure de l’animal et de régler son port de tête. (…) La pique, en blessant les muscles du cou et le ligament nuchal va diminuer le port de tête et ses mouvements latéraux et verticaux. »
« La pique doit normalement porter sur le morillo. ».
Le morillo est la zone située entre la quatrième et la sixième vertèbre cérébrale. La pique n’atteint à cet endroit que des muscles et le ligament nuchal.
En dehors de cette zone très limitée, la pique peut provoquer des fractures des processus épineux voire des corps vertébraux, des fractures de la scapula, des lésions de la moelle épinière.
Concernant ce point, Marie-Laurence Ferret précise de façon édifiante :
« Cependant, aujourd’hui, en France aussi bien qu’en Espagne, quasiment aucune, pour ne peut dire aucune, pique n’est dans le morillo. Ainsi, d’après M. DAURE (19),lors de la féria de Béziers d’août 1999, une seule pique se trouvait dans le morillo, 9.71% se situaient dans sa région postérieure et 72% dans la zone comprise sur et entre les épaules. Le restant des piques se situait, soit en arrière de la zone des épaules, soit très en arrière dans le dos du taureau. Ces piques mal placées peuvent avoir de graves conséquences sur l’animal et entraîner boiteries, chutes ou diminution de la capacité respiratoire. »
« Pour ce qui est de la profondeur des blessures à San Isidro, les blessures atteignent plus de 30 cm et la profondeur moyenne de chaque pique est de 21.6 cm. A Béziers la pique la plus profonde est de 28 cm et la moyenne des profondeurs est de 15.21 cm. »
Le tercio de pique consiste donc à affaiblir un bovin à l’aide d’une pointe métallique qui provoque des plaies d’une profondeur allant jusqu’à 30 centimètres et assez fréquemment des fractures.
Durant le deuxième tercio, 6 banderilles sont plantées dans la région dorsale du taureau. Ces harpons mesurent entre 4 et 6 centimètres et continuent à lacérer les muscles.
L’estocade donnée à l’aide d’une épée recourbée de 80 cm a pour objectif d’atteindre la veine cave caudale et l’aorte postérieure, ce qui se produit en réalité rarement. L’animal est en règle achevé à l’aide d’un couteau qui, introduit dans l’espace occipital, sectionne le bulbe rachidien. Cette pratique est interdite dans les abattoirs européens, à la fois pour des raisons éthiques et sanitaires.
4- La corrida, une pratique antagoniste à l’éthique de la profession
Assister à une corrida en tant que vétérinaire suppose donc d’accepter de cautionner des sévices graves infligés gratuitement à un animal avec la connaissance que ces sévices provoquent des souffrances très importantes. Si, en effet, le monde de la tauromachie peut se prétendre scientifiquement inculte sur les mécanismes de douleurs, aucun vétérinaire ne peut aujourd’hui faire l’impasse sur la souffrance animale. Le développement récent et de plus en plus vaste de la pharmacopée vétérinaire concernant l’anesthésie et l’analgésie en est la preuve.
L’AFVT se dit être responsable des soins promulgués aux taureaux graciés. Ce chiffre est dérisoire (ainsi, en 2014, un seul bovin sur 700 a été gracié), et pour la grande majorité, les animaux ne survivent pas à leurs blessures et agonisent en quelques jours ou semaines.
Dans le code de déontologie vétérinaire à l’article R242-33 (Décret n°2003-967 du 9 octobre 2003), les deux dispositions suivantes doivent être appliquées à tous les vétérinaires,
VII. - Le vétérinaire prend en compte les conséquences de son activité professionnelle sur la santé publique et sur l'environnement et respecte les animaux.
VIII. - Le vétérinaire s'abstient, même en dehors de l'exercice de la profession, de tout acte de nature à déconsidérer celle-ci.
Aussi, le COVAC considère que l’AVFT discrédite totalement la profession en soutenant un spectacle qui ne respecte pas les animaux pour toutes les raisons évoquées ci-dessus, mais aussi véhicule des idées scientifiques fausses et obsolètes concernant les souffrances infligées aujourd’hui éthiquement inacceptables.
Par conséquent, le COVAC demande à l’Ordre des Vétérinaires de se prononcer de façon défavorable sur l’engagement de confrères dans la promotion de la corrida notamment à travers l’existence d’une association comme l’AVFT.
Nous vous prions d'agréer, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, l'expression de notre considération respectueuse.
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Pr Jean-François COURREAU, Professeur à l’ENVA, responsable du CEDAF (Centre d'Accueil de la Faune Sauvage de l'ENVA), membre fondateur du COVAC.
Dr Fanny CASALI, vétérinaire, secrétaire du COVAC.
Dr Jean-Paul RICHIER, psychiatre, praticien hospitalier, coordinateur des collectifs PROTEC (http://www.collectif-protec.fr) et COVAC.
Dr Nathalie MILHAS, vétérinaire, praticienne libérale à Fenouillet (31150), présidente de la FAC (association Fenouillet anticorrida).
Dr Dorothée AILLERIE, vétérinaire, praticienne libérale à Perrigny (89000).