José Enrique Zaldívar, vétérinaire

 

Intervention de José Enrique Zaldívar, vétérinaire,

le 4 mars 2010 au Parlement catalan

dans le cadre des auditions en vue du vote sur la suppression de la corrida, suite à une Initiative Législative Populaire

 (par modification de l'article 6 de la loi de protection animale)

 


Merci à Madame la Présidente, à Messieurs les députés, aux organisateurs et à l'assistance.


Le titre de la contribution est :

La souffrance du taureau durant la corrida : lésions anatomiques, altérations métaboliques et neuro-endocriniennes.

La panoplie des arguments taurins pour défendre la corrida s'est élargie l’an passé grâce à l’apparition d’une hypothèse qui remettait en question la souffrance du taureau durant la corrida. L’étude a été réalisée par des vétérinaires de la Faculté de Madrid, et a connu un énorme écho parmi les défenseurs de la tauromachie.

Ce que je souhaite exposer durant mon audition d’aujourd´hui est une série de données objectives qui apparaissent dans de nombreux travaux, réalisés pour beaucoup par des vétérinaires d'arènes et publiés dans des livres et revues scientifiques.

Lorsque vous aurez écouté mon exposé, vous aurez à décider si le taureau dit "bravo" est un animal adapté pour la corrida, s’il est né pour mourir dans une arène, et, ce qui est le plus important, si ce spectacle suppose mauvais traitement, douleur et souffrance pour l’animal, et qu'en ce cas il serait susceptible d’être interdit dans la Communauté Autonome dont  vous êtes députés, à travers la modification de l’article 6 de la Loi de Protection Animale.

 

La corrida consiste en une série de phases (« tercios ») pendant lesquelles le taureau est piqué, lardé de banderilles et blessé à mort avec une épée, puis mis à terre et achevé.
 

La puya (pique) est une arme métallique coupante et acérée, de 6 cm de tige et de 2,5 cm de pointe pyramidale, dont chaque arête est aussi affutée qu’un bistouri.

Elle est munie d’un butoir cylindrique qui devrait empêcher que pénètre dans le corps de l’animal plus que ces 8,5 cm.

De nombreuses études anatomo-pathologiques ont été réalisées sur les cadavres des taureaux toréés pour déterminer les lésions qu’elle provoque.

Les canons taurins indiquent comme endroit « idéal »  pour la réalisation de cette action la zone appelée « morillo », qui se situe entre la 4º et la 6º vertèbre cervicale, zone qui comporte une grande masse musculaire responsable avec certains ligaments des mouvements d’extension de la tête. Comme vous allez le voir et le découvrir, cela ne se passe presque jamais ainsi.
 

Dans absolument toutes les études consultées à ce sujet on reconnaît les importantes lésions neurologiques, entre autres effets, causées par la pique au taureau.

Dans plus de 70% des taureaux étudiés, il a été déterminé que les piques sont insérées dans des zones bien plus basses que celle considérée comme « idéale ». Les lésions décrites affectent plus de 20 muscles, sans compter les intercostaux et costaux. Toutes ces structures sont nécessaires à la mobilité du tiers antérieur de l’animal, pour les mouvements du cou, de la tête, et pour la fonction respiratoire.

Non seulement sont sectionnés muscles, tendons et ligaments, mais également des veines, artères et nerfs importants.

Les résultats indiquent que la profondeur moyenne de ces blessures par pique sont de 20 cm, et on a observé des trajectoires allant jusqu’à 30 cm. On sait qu’une seule pique peut ouvrir jusqu’à 7 trajectoires différentes.

Il est reconnu que les piques provoquent fractures d’apophyses spinales et perforation de vertèbres, fractures de côtes et de cartilages de conjugaison, qu’elles peuvent perforer la plèvre et le poumon, créant un pneumothorax. Sont inévitables les lésions de la moelle épinière, les hémorragies du canal médullaire et la lésion de nerfs très importants comme le plexus bracchial (qui assure l’innervation des extrémités antérieures),  et les branches dorsales des nerfs spinaux qui longent la moelle épinière.

Les pertes de sang que subit un taureau pendant le « tercio » de piques sont un peu variables et oscillent entre 8 et 18% de son volume sanguin. Un taureau de 550 kilos perdrait entre 3 et 7 litres de sang après les piques.

 

Les banderilles : 6 sont plantées dans le taureau. Elles comportent à leur extrémité un harpon d’acier coupant et acéré, qui pour sa partie visible mesure de 4 à 6 cm. Elles lacèrent de nombreuses structures anatomiques déjà endommagées par les piques et produisent des blessures d’environ 10 cm autour du point d’insertion, augmentant la perte de sang de l’animal.

 

L’estoque (épée) est une épée recourbée de 80 cm de long, elle devrait blesser ou sectionner les grands vaisseaux sanguins de la cage thoracique, c’est-à-dire la veine cave caudale et l’aorte postérieure.

Ce qui arrive plus fréquemment, c’est que l’épée lèse les cordons nerveux qui longent la moelle épinière ce qui provoque la déconnexion de tout l’appareil moteur de la cage thoracique, et qui, ajouté à l'importante lésion du poumon droit, entraîne une intense difficulté respiratoire. Le sang passe du poumon aux bronches, puis à la trachée et sort par la bouche et le nez.

Dans d’autres occasions l’épée traverse le diaphragme, ce qui produit une paralysie par lésion du nerf phrénique ; la lésion de ce nerf peut compromettre la fonction diaphragmatique, créant une insuffisance respiratoire.

Dans certains cas les estocades sont tellement basses sur le corps du taureau qu’elles peuvent pénétrer dans le foie et le ventre.

Dans certaines occasions on voit de minces filets de sang dans la bouche et le nez. Cela arrive lorsque l’estocade a touché la partie la plus profonde des poumons et que le taureau avale son propre sang.

Sur 57 corridas étudiées (342 animaux), seulement 20% des estocades ont touché la veine cave caudale.

En 2003 fut publiée une étude dans laquelle, suite à l’analyse de 434 taureaux, on a mis en évidence la présence d’embolies dans le tissu pulmonaire et hépatique pour un nombre élevé d’animaux. Ces embolies sont attribuées à la pénétration de l’épée dans la zone inter-thoracique, les organes intra-abdominaux, ainsi que dans les structures vasculaires.

 

La corrida se termine avec le descabello et la puntilla.
 

Le descabello se réalise avec une épée similaire à celle de l’estocade, mais qui a une tige de 10 cm. L’objectif est de léser et sectionner la moelle épinière entre la 1ère et la 2nde vertèbre cervicale.
 

La puntilla se réalise avec un couteau de 10 cm de lame, qui une fois introduit dans l’espace occipital sectionne le bulbe rachidien, provoquant une paralysie générale de l’animal et une diminution de la pression artérielle. Les mouvements respiratoires se paralysent et le sang qui circule, chargé en CO2, produit une hypoxie encéphalique. Il est dit qu’elle provoque la mort instantanée du taureau, mais c’est faux, car elle crée une mort par asphyxie. Certains animaux présentent pendant un bon moment des réflexes qui montrent qu’ils sont vivants. La puntilla est interdite dans tous les abattoirs de l’Union Européenne car elle est considérée comme une manière cruelle de tuer un animal.

Mais ces données ne sont pas les seules que je peux vous apporter afin de démontrer que la corrida est un acte cruel de maltraitance animale, avec de profondes répercussions sur les constantes vitales du taureau, ce qui prouve la souffrance physique et psychique à laquelle est il est soumis.

Dans des études réalisées afin de déterminer les altérations métaboliques que subissent ces animaux, leur incapacité à s’adapter à la corrida est clairement démontrée.

 

 32 paramètres sanguins ont été étudiés sur des centaines de taureaux toréés et morts en arènes. Toutes ces valeurs ont présenté d’importantes modifications en peu de temps, celui que dure la corrida, et ces altérations tant à la hausse qu’à la baisse peuvent être considérées comme pathologiques. Ces animaux présentaient de graves altérations hépatiques, rénales, de l’équilibre acido-basique, du taux de cellules sanguines et des valeurs hormonales. Dans le dossier que vous a été remis vous trouverez beaucoup d'informations à ce sujet.

Ces analyses révèlent un grave état d’hémoconcentration et de déshydratation de par la perte de liquides que subit l’animal.
 

La présence d'un PH acide chez 93,5% des taureaux analysés démontre un état d’acidose métabolique que nous pouvons considérer comme grave. Un PH sanguin bas signifie que le sang contient trop d’acide, ce qui nuit aux cellules de l’organisme. L’origine de cet état pathologique est liée à l’effort considérable que suppose la corrida, pour laquelle le taureau n’est pas préparé.
 

La fonction respiratoire du taureau pendant la corrida a également été étudiée, grâce à la mesure des gaz sanguins (gazométrie). De ces études nous pouvons déduire une grande souffrance.

Les mesures incluent la pression partielle d’oxygène (PO2), la pression partielle de dioxyde de carbone (PCO2), le PH, le bicarbonate (HCO3-), le dioxyde de carbone total (TCO2), l’excès de bases (EB) et la saturation d’oxygène (SO2).

Les valeurs obtenues après la corrida démontrent l’incapacité des poumons à éliminer le CO2 qui se produit, ce qui diminue la pression partielle d’oxygène (PO2) et augmente la pression partielle de dioxyde de carbone (PCO2). Une preuve en plus de l’incapacité du taureau à s’adapter aux mauvais traitements auxquels il est soumis.
 

Selon le taxidermiste des arènes de « Las Ventas » de Madrid, 60% des taureaux sur lesquels il a travaillé présentent fissures ou fractures du crâne. Un célèbre critique taurin s’est référé à cette blessure comme au « crime de l’étrier du picador ».

Une étude réalisée sur plus de 6000 taureaux révèle un grand nombre de lésions oculaires dont souffrent les animaux pendant la corrida, lors de la sortie du camion, ou durant l’attente avant d’entrer dans l'arène. Chez 23% des sujets ont été découverts ulcères de cornée, décollements de rétine, luxations et subluxations du cristallin, fractures orbitales de l’arcade sourcilière et hémorragies intraoculaires.

Pour insister sur l’étude à laquelle je faisais référence au début de mon exposé, dans laquelle rien n’est dit sur toutes les altérations organiques et anatomiques que j’ai décrites, je ferai une série de précisions sur les affirmations de cette étude, qui minimisent la souffrance, le stress et la douleur que subit le taureau durant la corrida et qui tente de le faire passer pour un animal adapté à cet objectif qu’est la corrida.
 

Le stress est la « situation d’un individu ou de l’un de ses organes ou appareils qui, lorsque'est exigé un rendement supérieur au rendement normal, crée le risque de tomber malade », c’est-à-dire, une véritable menace pour l’homéostasie, qui est la tendance des organismes à maintenir la stabilité des composants physiologiques vitaux comme le PH, la température corporelle, les électrolytes ou la pression d’oxygène. Maintenir en équilibre ces valeurs avec peu de variations est essentiel pour la survie de l’individu.

Comme cela est prouvé suite à l’étude des analyses, l’organisme du taureau pendant la corrida ne parvient pas à cet équilibre, ce qui démontre son inadaptation à la corrida.
 

On nous dit que le thalamus d’un taureau est plus grand que celui du reste des bovins (approximativement 20% plus grand) et que cela rend le taureau capable de répondre à la douleur plus rapidement. Évidemment je ne peux nier cette affirmation, celle concernant le volume du thalamus, mais je peux vous dire que le thalamus n’est pas le responsable de la réponse à la douleur. Cette structure neuronale  située au centre du cerveau traite les sensations, propage les impulsions et les intègre peut-être, mais c’est le cortex cérébral qui décide de la réponse qui doit se produire.

Il est affirmé également que le taureau n’a pas de neurones de la mémoire, ce qui le rendrait incapable de souvenirs  par rapport à la douleur. La perception de la douleur requiert une reconnaissance corticale du stimulus comme un stimulus désagréable. De plus, la douleur est une expérience subjective sensorielle et émotionnelle qui nécessite l’existence de conscience.

L’apprentissage, la mémoire et le comportement agressif dépendent en grande partie de structures cérébrales qui se nomment l’hippocampe et l’amygdale, et non pas du thalamus.
 

Tous les mammifères possèdent trois types de mémoire : la mémoire sensorielle, qui opère en moins d’une seconde, la mémoire à court terme, qui ne se prolonge pas plus de 15 à 20 secondes, et la mémoire à long terme. Les trois types de mémoire interagissent mutuellement,  s’envoient de l’information et ont chacun une fonction définie. Le premier type de mémoire n’est pas contrôlé par la conscience et agit de façon automatique et spontanée pour tous les mammifères.

Dans une étude intitulée « Comportement du taureau de corrida face au cheval et au bâton » l’on peut lire « l’épreuve avec le bâton n’est pas viable avec le taureau de corrida à cause de la capacité d’apprentissage de ces animaux ».

Je comprends que l’apprentissage va de pair avec la mémoire, que l’on nie au taureau de corrida, et je crois évident que le taureau, pendant sa vie, a eu des contacts avec des sensations qui ont pu provoquer de la douleur, et que donc il doit avoir conscience et mémoire de cela.
 

Dans cette même étude, on nous dit que le taureau s’adapte parfaitement à la corrida, car le cortisol, hormone qui rend compte du stress, lorsqu’elle est mesurée sur des taureaux morts dans l’arène, présente des valeurs inférieures à la moyenne mesurée durant le transport et chez les taureaux qui ont été retournés car ayant été considérés comme inaptes pour la corrida. Cela laisserait entendre que le voyage et l’entrée dans l’arène serait plus stressants pour le taureau que la corrida en soi.

Dans deux thèses de doctorat présentées à la Faculté Vétérinaire de Madrid (2002 et 2006) et dirigées par le même vétérinaire qui a fait ces déclarations, on peut lire absolument le contraire :  « les taureaux toréés et tués dans l’arène présentaient des niveaux hormonaux de cortisol plus élevés que les mesures de contrôle réalisées sur les taureaux retournés pour inaptitude à la corrida » et on en concluait que la corrida supposait un important stress pour le taureau, avant qu’il essaie de s’adapter.

Les études auxquelles j’ai fait référence quant aux analyses sur les animaux toréés et sur d’autres démontrent que le cortisol est au-delà des valeurs considérées comme normales et que le taureau subit un grand stress lorsqu’il est toréé. Face au doute qui pourrait exister à ce sujet, je vous dirai que :

« Quand existent des lésions dans les voies de transmission du système nerveux, indispensables pour que se produise une réponse endocrine adaptée face à des stimulus stressants, la réponse peut être considérée comme amortie ou suspendue en cas de lésions neuronales ou de lésions de la moelle épinière ».
 

De récentes découvertes indiquent que la bêta-endorphine pourrait inhiber la libération des précurseurs hormonaux qui induisent eux-mêmes la libération de cortisol. Étant donné que le taureau pendant la corrida libère cette substance en grande quantité, ce pourrait être une autre des raisons qui explique pourquoi le taux de cortisol moyen ne correspond pas aux résultats attendus.

L’épuisement du taureau pendant la corrida (troisième phase du Syndrome d’Adaptation de Selye) doit être prise en compte lors des mesures hormonales concernant le cortisol, et devraient être également prises en compte les nombreuses lésions physiques et les altérations métaboliques dont souffre l’animal et qui démontrent son inadaptation.

Les analyses sanguines réalisées sur des taureaux après la corrida indiquent des niveaux de potassium élevés et des niveaux de sodium et de chlorure abaissés, compatibles avec le possible épuisement de la glande surrénale, responsable de la sécrétion de cortisol et de l’aldostérone.
 

Pour terminer mon exposé, je ferai allusion à une autre affirmation de la même étude déjà citée. Il y est affirmé que, grâce à la libération importante d’opiacés endogènes -bêta-endorphine et métenképhaline-, la douleur et le plaisir s’équilibrent.

Les endorphines ne possèdent pas de pouvoirs magiques. Toutes les endorphines découvertes jusqu’ici sont libérées en cas de stress et de douleur, je suis au courant qu’elles ont des propriétés analgésiques, mais il n’est écrit dans aucune publication scientifique qu’elles neutralisent la douleur au point de l’apparenter au plaisir. Si c’était le cas, quelle logique auraient les études sur la douleur et les moyens de la neutraliser ?

L’étude des opiacés endogènes et de ses récepteurs est à ce jour encore un grand mystère pour la science médicale. Sachant que se libèrent de grandes quantités de ces opiacés face à des situations de stress, de douleur, de souffrance, d’effort démesuré, d’hémorragies, de déséquilibre interne, d’insuffisance cardio-respiratoire et d’altérations de la tension artérielle, comme cela peut se produire pendant une corrida, il est logique que le taureau, pendant l’agonie à laquelle il est soumis, n’ait pas d’autre réponse que de les produire. Les études qui démontrent ce que j’affirme sont nombreuses et vous en trouverez des exemples dans le dossier qui vous a été remis. Dans beaucoup de ces études, il est affirmé que plus la dose d’endorphines est importante, plus grande est la douleur ressentie et le stress subi (e.g. Bacigalupo et al, 1990) et dans certaines études de médecine humaine et vétérinaire, cette dose sert pour mesurer douleur et stress. Il a même été affirmé que les endorphines libérées en état de stress n’ont pas de pouvoir analgésique (Harbach et al, 2007), et de nombreux auteurs assurent que les enképhalines représentent le système de modulation le plus important lors de l’essai d’adaptation d’un organisme à un stress chronique.
 

Si le taureau de corrida possède cette adaptation surnaturelle pour supporter la douleur, la maltraitance et la souffrance, je crois que cette hypothèse mériterait un espace important dans une publication scientifique, ce qui jusqu’à présent n'a pas eu lieu.

« Le bien-être animal doit s’aborder avec de réelles bases scientifiques. La perception erronée des animaux comme des êtres qui ne sentent pas et qui donc sont incapables de souffrir, crée des attitudes négatives envers eux, qui se reflètent dans les conduites de négligence, cruauté ou mauvais traitement ».

Observez comment le taureau entre dans l’arène et comment se termine son existence, et si l’un de vous pense encore que cet animal a été capable de ressentir du plaisir à un moment de la corrida, je mets mon diplôme de Vétérinaire à disposition des autorités qui régulent ma profession.

Je finirai en citant Sophocle qui disait « un mensonge ne vit jamais jusqu’à devenir vieux ».

 

Merci beaucoup Madame la Présidente, et Mesdames et Messieurs les Députés.


  José Enrique Zaldívar Laguía.

  Vétérinaire.

 

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