Union européenne, subventions, et corridas
Le récent vote du Parlement européen portant sur les subventions aux corridas peut être analysé par groupe politique et par pays.
Le Parlement européen a voté le 22 octobre 2014 sur l’amendement visant à mettre fin aux subventions européennes pour la reproduction et l'élevage de taureaux destinés à la corrida.
Pour mémoire, un rapport publié en 2013 par le groupe Verts/ALE estimait au minimum à 130 millions d'euros les subventions versées par l'UE à l'Espagne pour les élevages de taureaux de corrida.
Cet amendement n’a pas été retenu, mais, outre qu’il a constitué une occasion de dénoncer les spectacles tauromachiques au niveau européen, et outre qu’il a conduit à des résultats très encourageants, il offre l’avantage de permettre une analyse des résultats grâce au site Vote Watch Europe.
Nous l’avons fait à propos de la France dans notre article précédent.
Nous allons le faire ici en nous intéressant d’une part aux groupes politiques européens, d’autre part aux pays membres.
I - VOTES SELON LES GROUPES POLITIQUES
On peut en consulter le détail sur CE TABLEAU.
Les deux principaux groupes politiques, le groupe PPE (droite libérale) et le groupe S&D (gauche socio-démocrate), qui représentent à eux deux 55% des eurodéputés, avaient appelé à voter contre l’amendement. Ainsi, 283 des 309 députés qui ont rejeté l’amendement provenaient de ces deux groupes.
C’est la ligne habituelle des partis majoritaires : pas de vagues dans la mesure du possible, donc maintien du statu quo. A fortiori lorsque la baisse de l’emploi et du pouvoir d’achat sévit de façon prolongée, et que les partis majoritaires traditionnels ont dans ce contexte tendance à perdre de leur crédibilité.
La consigne a été pieusement respectée côté PPE, où seulement moins de 10 % des députés ont voté pour l’amendement. Ces dissidents comprenaient notamment les députés PPE des Pays-Bas, de la Belgique et de la Finlande.
Côté S&D, il y a eu davantage de frondeurs, avec 30% des députés ayant voté pour l’amendement.
Pas en France, on l’a vu, où tous les socialistes ont obéi le petit doigt sur la couture du pantalon. En Espagne non plus. En Allemagne non plus, ce qui est plus décevant. Ainsi qu’en Pologne et en Roumanie, pour s’en tenir aux dix pays les plus représentés.
D’où provenaient les dissidents ?
Du Royaume-Uni, dont en fait aucun eurodéputé ne s’est opposé à l’amendement (cf + bas).
D’Italie, dont près de la moitié des députés S&D ont voté pour l’amendement.
De Belgique, des Pays-Bas, et de la Suède, dont tous les députés S&D ont voté pour l’amendement (sauf 1 non-votant pour la Suède).
Tous les autres groupes politiques avaient appelé à adopter l’amendement, appels en règle suivis d’effet.
II - VOTES SELON LES PAYS
On peut en consulter le détail sur CE TABLEAU.
* Note : Les eurodéputés disposent de 2 semaines pour corriger leurs votes, mais ceci n'influe pas sur le résultat officiel. Nous indiquons les corrections à partir du document publié le 6 novembre 2014 (p 21)
A - Pays à activité tauromachique
1 - France
Nous renvoyons donc à notre article précédent.
2 - Espagne
Sur 54 eurodéputés :
- 26 ont voté contre l’amendement, soit moins de la moitié.
Ces 26 députés sont tous membres soit du groupe PPE (quasiment tous du Partido Popular, PP, la droite libérale espagnole) soit du groupe S&D (quasiment tous du Partido Socialista Obrero Español, PSOE, la gauche socio-démocrate espagnole).
- 20 ont voté pour l’amendement, de diverses tendances.
Aucun député du PP n’a voté en faveur de l’amendement.(1)
Aucun député du PSOE n’a voté en faveur de l’amendement.(2)
(1) Le seul député du groupe PPE ayant voté pour l’amendement est le seul député n’appartenant pas au PP, mais à l’Union Démocratique de Catalogne (régionaliste/centriste).
Sinon, 2 députés du PP n’ont pas pris part au vote.
(2) Deux députés du groupe S&D ont voté blanc, dont le seul député n’appartenant pas au PSOE, mais au Parti des Socialistes de Catalogne.
3 - Portugal
Sur 21 eurodéputés :
- 10 ont voté contre l’amendement, soit moins de la moitié.
Ces 10 députés sont tous membres soit du groupe PPE (quasiment tous du Partido Social Democrata, PSD), soit du groupe S&D (tous du Partido Socialista, PS).
- 3 ont voté pour l’amendement.
. 2 députés du PS ont voté pour l’amendement,
. aucun député du PSD n’a voté pour l’amendement.(1)
B - Pays qui se sont nettement prononcés en faveur de l’amendement
1 - Royaume-Uni (et Irlande)
Sur 73 eurodéputés :
- 65 se sont prononcés pour l’amendement, toutes tendances politiques confondues.
- Aucun ne s’est prononcé contre l’amendement.
Rappelons que c'est au Royaume-Uni que vit le jour en 1824 la première organisation de protection animale de l'histoire, et que virent le jour en 1822 puis en 1835 les premières lois de protection animales.
Et qu'en 2005 y fut abolie la chasse à courre, qui n'est pas sans rapport avec la corrida.
Cependant, convenons que l'unanimité des votes en faveur de l'amendement, y compris ceux de la droite conservatrice (celle qui s'était opposée à la loi interdisant la chasse à courre) donne à penser que le souci des animaux n'est pas la seule motivation de ces votes (cf le chapitre III).
Au sein de l’UE, le Royaume-Uni est un État atypique. Il fait partie des pays les plus eurosceptiques de l’UE, et n’appartient pas à la zone euro.
L’UKIP, parti de droite explicitement antieuropéen, a aux dernières élections de 2014 emporté la majorité devant les partis traditionnels, à l’instar du FN en France.
Le Parti Conservateur comprend de forts courants eurosceptiques.
Et le Parti Travailliste est prudent sur la question.
Notons que les eurodéputés issus du Parti Conservateur ont rejoint au Parlement européen non pas le PPE, trop européiste, mais l’ECR.
Les eurodéputés issus du Parti Travailliste ont rejoint le groupe S&D
Et les députés issus de l’UKIP font partie du groupe ELDD (dont l’autre principal parti est l’atypique Mouvement 5 étoiles italien).
Pour ce qui est du pays partageant l’insularité du Royaume-Uni, l’Irlande, 8 eurodéputés (sur 11) étaient présents en séance :
- 4 ont voté pour l’amendement, tous du groupe S&D (3 Sinn Féin et 1 indépendante),
- aucun n’a voté contre,
- 4 ont voté blanc, tous du groupe PPE (et issus du Fine Gael Party).
2 - Pays-Bas
Sur 28 eurodéputés :
- 26 se sont prononcés pour l’amendement, toutes tendances politiques confondues.
- Aucun ne s’est prononcé contre l’amendement.
Signalons qu’aux Pays-Bas il existe un parti efficace dédié à la défense des animaux, le Partij voor de Dieren, qui a pu obtenir un siège au Parlement européen (grâce à l’absence de seuil imposé pour être représenté, contrairement par exemple à la France qui impose un seuil de 5% des voix)(1). Et il existe aussi une organisation efficace de lutte contre la corrida, le Comité Anti Stierenvechten.
Et rappelons que l'amendement avait été déposé par Bas Eickhout, eurodéputé Vert hollandais.
(1) L’autre parti dédié à la défense des animaux ayant un siège au Parlement européen est le parti allemand Partei Mensch Umwelt Tierschutz, l’Allemagne bénéficiant aussi depuis peu de l’absence de seuil imposé. Ces deux eurodéputés ont intégré le groupe GUE/NGL.
3 - Belgique
Sur 21 eurodéputés :
- 18 se sont prononcés pour l’amendement, toutes tendances politiques confondues.
- 1 seul député s’est prononcé contre (appartenant au groupe ALDE et issu du Mouvement Réformateur).
4 - Pays scandinaves
Les 3 pays scandinaves membres de l’UE se sont nettement prononcés en faveur de l’amendement.
a - Suède
Sur 20 eurodéputés :
- 15 se sont prononcés pour l’amendement, associant divers tendances.
- 3 se sont prononcés contre (tous du PPE, le 4ème du PPE n’ayant pas pris part au vote)
* Note (6 novembre 2014) : Les 3 eurodéputés suédois qui avaient voté contre l'amendement ont corrigé leur vote en "pour".
b - Danemark
Sur 13 eurodéputés :
- 10 se sont prononcés pour l’amendement, toutes tendances politiques confondues.
- 2 se sont prononcés contre contre, 1 à droite (groupe ECR) et 1 à gauche (groupe S&D)
* Note (6 novembre 2014) : L'eurodéputé S&D qui avait voté contre l'amendement et celui qui s'était abstenu ont corrigé leurs votes en "pour".
c - Finlande
Sur 13 eurodéputés :
- 10 se sont prononcés pour l’amendement, associant divers tendances.
- 2 se sont prononcés contre : les 2 du groupe S&D, issus du Parti social-démocrate.
C - Résultats des autres grands pays européens
Dans le quarté des pays les plus représentés au Parlement européen, outre la France et le Royaume-Uni, il y a l’Allemagne et l’Italie.
1 - L’Allemagne a rejeté l’amendement.
Sur 96 eurodéputés :
. 55 se sont prononcés contre l’amendement, quasiment tous(1) du Groupe PPE (venant tous de l’Union chrétienne démocrate CDU/CSU) et du groupe S&D (venant tous du Parti social-démocrate).
. 29 se sont prononcés pour, rassemblant les autres groupes politiques(2).
* Note (6 novembre 2014) : une eurodéputée a corrigé son vote "contre" en vote "pour".
(1) + 1 Parti national-démocrate (extrême-droite)
(2) + 1 S&D dissident
2 - L’Italie s’est montrée partagée.
Sur 73 eurodéputés :
- 35 se sont prononcés pour l’amendement :
. 17 députés ELDD (les 17 députés du Mouvement 5 étoiles)(1),
. 13 députés S&D (issus du Parti démocrate),
. 3 députés GUE/NGL (L'autre Europe avec Tsipras),
. 2 députés PPE (mais ne venant pas de Forza Italia)(2).
- 32 se sont prononcés contre :
. les 14 députés du PPE issus de Forza Italia,
. 15 députés S&D (issus du Parti démocrate),
. 3 députés venant de la Ligue du Nord.(3)
- 3 députés Ligue du Nord et 2 députés S&D ont voté blanc.
* Note (6 novembre 2014) : 2 eurodéputés de la Ligue du Nord ont corrigé leur vote "contre" en abstention, et un eurodéputé de Forza Italia a corrigé son vote "contre" en vote "pour".
(1) le Mouvement 5 étoiles est un mouvement atypique fondé par Beppe Grillo, alter-européen plutôt qu’anti-européen, mais demandant à sortir de l’euro, qui s’est associé dans le cadre du groupe EELD avec l’UKIP, parti de droite antieuropéen britannique, par convenance plus que par concordance.
(2) 1 du Südtiroler Volkspartei et 1 du Nuovo Centrodestra - Unione di Centro
(3) parti régionaliste italien souvent présenté comme d’extrême-droite.
D - Pays d’Europe centrale et orientale
Les votes y ont été généralement partagés, avec un penchant contre l’amendement.
Cependant, les deux États les plus représentés se sont nettement prononcés contre l’amendement :
La Pologne, avec sur 51 eurodéputés, 32 « contre » (dont tous les PPE et les S&D présents) et 16 « pour » (regroupant des membres de la droite eurosceptique)(1).
Et surtout la Roumanie, avec sur 32 eurodéputés, 26 « contre » (PPE et S&D)(2), et 1 seul « pour »(3).
* Note (6 novembre 2014) : une eurodéputée polonaise PPE a corrigé son vote "contre" en vote "pour".
(1) notamment la majorité des Prawo i Sprawiedliwość, certains ayant cependant voté contre, et le Kongres Nowej Prawicy.
(3) Indépendant ayant rejoint l’ALDE
III - CES VOTES REFLÈTENT-ILS LES POSITIONS DES EURODÉPUTÉS À PROPOS DE LA CORRIDA ?
Dans un vote au Parlement européen, les députés, qui ont à voter sur de nombreux articles et des nombreux amendements, choisissent en règle de suivre la ligne énoncée soit par leur groupe politique européen, soit (si elle est différente) par leur parti politique national.
On ne peut donc attendre d’un vote qu’il reflète nécessairement les positions personnelles de chaque député. Les remarques ci-dessous valent donc à la fois pour les positions personnelles des députés et pour les positions de leurs groupes et/ou partis politiques.
Les eurodéputés qui ont voté pour l’amendement (donc pour l’arrêt des subventions aux élevages de taureaux de corrida) sont-ils nécessairement opposés à la corrida ?
Il y a lieu de penser que beaucoup le sont. En tout cas ceux qui savent réellement ce qu’est une corrida espagnole ou portugaise, ce qui n’est pas le cas de tous en Europe.
Mais certains jugent sans doute simplement que l’UE n’a pas à contribuer au financement indirect d’activités inutiles (ce qui expliquerait par exemple l’unanimité du groupe ELDD, qui fait d’ailleurs référence à cet amendement dans l’un des ses articles), ou encore l’unanimité des eurodéputés du Royaume-Uni, pays eurosceptique s’il en est.
Les députés qui ont voté contre l’amendement sont quant à eux certainement loin d’être tous favorables à la corrida.
Bien sûr, à titre personnel, en France ou dans la péninsule ibérique, certains ont pu exprimer un soutien à la corrida par le rejet de l’amendement.
D’autres eurodéputés ont pu vouloir seulement exprimer un soutien, certes mal placé, aux identités régionales ou aux pratiques traditionnelles.
D’autres encore ont pu vouloir maintenir un appui à un monde agricole en difficulté. Bien entendu, le lobby tauromachique a dû faire valoir que, sur l’ensemble des bovins élevés dans les ganaderias, seul un dixième finissent dans les arènes. Ce qui n’est aucunement un argument, puisque ce même lobby répète à l’envi que l’unique raison d’être des ganaderias est de produire des taureaux du corrida, c’est-à-dire ceux qui sont vendus cher.
Et d’autres eurodéputés enfin, comme nous le disions plus haut à propos des partis majoritaires traditionnels, cherchent tout bêtement à éviter dans la mesure du possible de faire des vagues, donc maintiennent le statu quo.
POUR CONCLURE :
L’adoption de cet amendement en séance parlementaire n’aurait pas pour autant constitué son adoption définitive. En effet, le vote du budget passe aussi par le Conseil de l'Union européenne, qui réunit les ministres du Budget des 28, avec en cas de désaccord discussions en comités de conciliation, éventuellement retour à la case Commission, etc.
En attendant la cessation de ces subventions européennes, il importe de rendre de plus en plus transparentes aux citoyens-contribuables les subventions directes ou indirectes que les pouvoirs publics français versent aux corridas.