Trois élus municipaux de Dax prennent position contre les corridas
A Dax comme dans les autres arènes de première catégorie françaises, depuis maintenant des années, chaque festival taurin fait l’objet de protestations. Celles-ci peuvent prendre la forme d’un rassemblement sur place d’opposants à la corrida. C’était le cas cette année, le 8 septembre dernier. La manifestation comprenait beaucoup de Dacquois, dont trois élus municipaux : Isabelle Nail, Sylvie Laulom, et Jean-Marie Vignes, tous trois d’appartenance ou de sensibilité EELV. Les deux premières avaient déjà auparavant affiché leur opposition à la corrida malgré les pressions..
Le 13 septembre, le maire PS de Dax, Gabriel Bellocq, annonçait dans un communiqué que ces élu(e)s étaient exclu(e)s de la majorité municipale. Ceci au prétexte de quelques heurts en marge de la manifestation, laquelle ne devait pas approcher les arènes à moins de 500 m au terme d’un arrêté municipal.
Non seulement le prétexte fait sourire. Quiconque assiste à des rassemblements anti-corrida peut constater que la « violence » des opposants à la corrida, même si certains peuvent être virulents, n’a jamais provoqué ni dommages corporels ni dégâts matériels.
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Mais M Bellocq est-il oublieux à ce point de l’histoire pour ne pas savoir que la corrida s’est imposée à Dax, comme dans le reste du Midi, contre la loi ? Et pas simplement en franchissant plus ou moins le périmètre imposé par un arrêté municipal, mais en s’opposant ouvertement aux commissaires de police, aux gendarmes, au préfet, au ministre de l’Intérieur, et au président du Conseil ?
Pourtant, la mairie fait actuellement la promotion d’une exposition, organisée au musée municipal Borda depuis le juillet 2013 et jusqu’en janvier 2014, sur le thème « Cultures taurines du Sud Ouest ». On y trouve, page 3 du livret de présentation, un chapitre à la gloire du maire qui s’opposa à la loi, intitulé « Le grand combat de Raphaël Milliès-Lacroix ».
En voici un extrait :
« En fait, le combat le plus dur s’est engagé dès 1894. Il est porté par Raphaël Milliès-Lacroix, maire de Dax. L’exposition illustre l’émeute qui se déclenche dans la cité thermale le 14 octobre : la foule s’oppose aux forces de l’ordre et parvient à faire combattre un taureau malgré l’interdiction. Les gendarmes interviennent dans l’arène. Le taureau s’échappe en ville. Les matadors Félix Robert et Paul Nassiet le poursuivent et parviennent à l’estoquer dans ce qui deviendra la rue du Toro. Le maire de Dax est révoqué, puis réélu triomphalement ».
Cet extrait fait référence à une escalade de la municipalité de Dax dans l’illégalité en 1894.
En septembre 1894, le ministre de l’Intérieur -et président du Conseil- émit une circulaire enjoignant aux préfets d’interdire les courses de taureaux avec mise à mort.
Mais le 6 octobre, le maire de Dax, Raphaël Milliès-Lacroix, prit délibérément un arrêté autorisant ce type de courses.
Le 9 octobre, le préfet des Landes prit donc, conformément aux instructions ministérielles, un arrêté interdisant ce type de courses dans le département. Précisons que le Conseil d’Etat allait en décembre 1897 donner raison au préfet. Et ce même 9 octobre, lors du Conseil des Ministres, le président de la République Casimir-Perier signa un décret révoquant le maire de Dax pour son arrêté illégal.
Cependant, le 14 octobre, la corrida illégale eut quand même lieu. Elle fut organisée plus tôt que prévu dans la journée, afin de prendre de court le commissaire et les gendarmes. D’où le désordre qui s’ensuivit, où par chance personne ne fut blessé, avec l’estocade ratée, le taureau qui prit la fuite, la course poursuite, et l’animal immobilisé et tué à coups de poignard dans la nuque par les toréadors dans les rues de la ville. Les gendarmes restèrent plusieurs jours dans la ville, pour disperser les attroupements.
Pourquoi cette obstination de la ville de Dax à organiser des courses à l’espagnole ? Etait-ce la culture de la région, était-ce l’ancienneté de la tradition ? Non, il s’agissait d’une pratique importée d’Espagne, et qui n’existait à Dax que depuis 1878, c’est-à-dire depuis une quinzaine d’années ! (et s’était en fait développée surtout depuis 1891).
En fait cet épisode eut lieu dans une époque de tension entre le pouvoir central (les ministères et les préfectures) et les pouvoirs locaux (maires). L’heure était aux affirmations des identités locales, et l’enjeu était simplement de résister aux ordres de Paris.
En conclusion, faut-il nier les identités locales ? Evidemment non. Chacun est attaché à l’endroit où il est né, ou à l’endroit où il s’est installé. L’identité territoriale est une des dimensions de l’identité tout court, même (peut-être « surtout ») à notre époque d’uniformisation et de mondialisation. Mais il ne faut pas se tromper de combat. L’identité territoriale ne doit pas se substituer à toute forme de réflexion.