Les taurins toujours sur la défensive
Nous vous avons déjà présenté André Viard, le Président du lobby tauromachique français intitulé Observatoire National des Cultures Taurines.
L'extrait mentionné ci-dessous provient de son « éditorial » en date du 22 octobre, sur son blog Terres Taurines.
« Plus important que nos retraites semble être dans certains secteurs de la société le nécessaire "bien-être animal" sur lequel ont planché de nombreux chercheurs à l'occasion des "sommets de l'élevage".
Sont concernés par ce questionnement toutes les filières d'élevage de la race bovine, et donc bien sûr les toros de combat pour lesquels toutefois aucune conclusion particulière n'a encore été présentée. Au programme de l'étude réalisée dans le cadre du programme européen Welfare quality, un volumineux dossier a été présenté par l'INRA auquel a été demandé une expertise scientifique sur la douleur animale tendant à définir la douleur, l'évaluer et la soulager faute de pouvoir la supprimer. Dossier qui sera remis au Ministre de l'Agriculture afin que celui-ci puisse éventuellement légiférer.
Autrement dit, le monde taurin n'est pas à l'abri d'une nouvelle dérive animalitaire impulsée par les vétérinaires spécialistes des petits animaux, ainsi que bien sûr de diverses associations [...]
Il n'en demeure pas moins que le débat n'est pas clos et qu'il ressurgira sous peu, imposant au monde taurin, et en particulier à ses vétérinaires, de préparer des arguments susceptibles d'être entendus dans un contexte pas forcément favorable, voire carrément hostile.
Faut-il participer à ces travaux sur l'évaluation de la douleur si ceux du professeur Illera del Portal ne sont pas pris en compte ? »
Dès qu'il sort de son seul et unique domaine de compétence, à savoir la corrida, M Viard confond un peu tout.
S'il a été récemment question, au dix-neuvième Sommet de l'élevage (un salon des éleveurs qui a lieu tous les ans à Clermont-Ferrand), du projet Welfare Quality et du rapport de l'INRA, ce sont deux choses distinctes.
Le projet Welfare Quality est un programme de recherche mis en place par la Commission Européenne de 2004 à 2005, visant à développer des stratégies d'évaluation et d'amélioration du « bien-être » des animaux d'élevage. Ses conclusions ont été rendues en octobre 2009 lors d'un colloque organisé à Uppsala en Suède.
Le rapport de l'INRA sur la douleur chez les animaux d'élevage a été commandé en 2008 par le Ministère de l'Agriculture suite aux Rencontres Animal & Société. En fait, des recherches sur ce thème avaient commencé dès 1999, avec le programme AGRIBEA par un groupe de chercheurs de l’INRA. Ce rapport a été rendu public en décembre 2009 lors d'un colloque organisé à Paris au siège de l'OIE (Organisation Mondiale de la Santé Animale). Signalons que de son côté, l'OIE a publié cette même année 2009 l'ouvrage Évaluation scientifique et gestion de la douleur animale.
Ce n'est en tout cas pas un « dossier qui sera remis au Ministre de l'Agriculture afin que celui-ci puisse éventuellement légiférer », puisqu'il est entre les mains de celui-ci depuis 10 mois. Et rappelons en passant à M Viard qu'un Ministre n'a pas vocation à « légiférer ».
Bien entendu, il en est de ces projets et de ces rapports, si savants et soigneux soient-ils, comme de tous les rapports : il y a loin de la théorie à l'application concrète. Mais ceci est une autre question.
Toujours est-il que le président de l'ONCT semble avoir peur des avis scientifiques, on se demande pourquoi...
Il est vrai que sa référence est le Pr Juan Carlos Illera del Portal, professeur de physiologie à la faculté vétérinaire de l'Université Complutense de Madrid.
Pour rappel, celui-ci avait voici quelques années supervisé une étude visant à montrer que l'augmentation importante du taux de β-endorphine chez le taureau durant la corrida le préservait de la douleur.
Or, chez un animal pouvant évaluer sa propre douleur, à savoir l'Homo sapiens, on a étudié les relations entre le taux de β-endorphine plasmatique et l'évaluation de la douleur, dans des circonstances comme l'accouchement, les syndromes coronariens, les traumatismes et les périodes post-opératoires. Résultat ? Le plus souvent, il n'existe aucune corrélation, parfois il existe une corrélation positive (c'est-à-dire plus le taux est élevé, plus on a mal), et seules de très rares études rapportent une corrélation négative. La conclusion générale est donc que le taux de β-endorphine n'est le marqueur d'aucune donnée clinique particulière, et qu'il est absurde d'en faire le marqueur d'une diminution de la douleur éprouvée.
En d'autres termes, l'étude de Juan Carlos Illera del Portal est à la science ce que Mon curé chez les nudistes est au cinéma (ou ce que Philosophie de la corrida de Francis Wolff est à la philosophie).
D'ailleurs, si ses résultats ont été exposés dès 2005, et bien que le petit monde de la corrida en fasse grand cas depuis l'interview de l'auteur dans une revue taurine en février 2007, à ce jour aucune revue à comité de lecture n'a accepté de la publier...
La seule trace qu'on puisse en trouver est un articulet en 2007 sur... la revue vétérinaire de l'Université Complutense.
On n'est jamais si bien servi que par soi-même.