Aperçu historique

Pourquoi la corrida est-elle permise en France, alors que la loi réprime les sévices et les mauvais traitements envers les animaux domestiques ?
 
Des premières corridas en France jusqu'à la loi de 1951

La préoccupation envers les animaux s'est inscrite dans les sociétés occidentales au cours du XIXe siècle.
Ainsi, en France, la fameuse loi du 2 juillet 1850, dite "loi Grammont", introduisit une répression des mauvais traitements envers les animaux domestiques.
Quatre ans plus tôt, en 1846, s'était créée à Paris la Société Protectrice des Animaux.
Neuf ans plus tard, en 1859, un certain Charles Darwin allait publier Outre-Manche "L'Origine des Espèces", qui eut le destin que l'on sait.

Mais trois ans plus tard, en août 1853, étaient organisées en France, près de Bayonne, les premières corridas espagnoles, en l'honneur de la comtesse espagnole Eugénie Montijo, épouse de Napoléon III depuis janvier 1853. Pour mémoire, Louis-Napoléon Bonaparte avait pris le pouvoir par le coup d'État de décembre 1851, puis repris le titre d'Empereur en décembre 1852.

Cependant, c'est sous la IIIe République, plus précisément à partir des années 1880, que la corrida prit son essor dans le sud de la France. Les identités régionales s'opposaient au pouvoir jacobin, la loi du 5 avril 1884 sur l’organisation municipale permit aux maires de s'opposer aux préfets, car ils étaient élus localement bien que censés être sous la tutelle des préfets, et par ailleurs les juridictions locales allaient rester réfractaires aux arrêts de la Cour de Cassation.

Cette situation boiteuse perdura au fil des ans jusqu'au 24 avril 1951, où une loi piteuse plia le droit aux difficultés à le faire respecter, en introduisant la corrida comme exception à la loi Grammont de protection des animaux domestiques, en cas de "tradition ininterrompue".
 
 
L'exception corrida et le Code pénal.

Le 7 septembre 1959, un décret remplaça la loi Grammont par une disposition du Code pénal, qui instituait une contravention pour mauvais traitements envers animaux domestiques, et la loi du 19 novembre 1963 vint y adjoindre le délit d'acte de cruauté. Mais avec toujours cette exception pour les corridas (qui sera accompagnée, "grâce" à la loi du 8 juillet 1964, d'une semblable exception pour les combats de coqs, moins spectaculaires mais tout aussi contestables).

Ces dispositions de l'ancien Code pénal se retrouvèrent dans le nouveau Code pénal (1994), à la fois dans sa partie législative (qui codifie les lois) pour les sévices graves et actes de cruauté, et dans sa partie réglementaire (qui codifie les décrets) pour les mauvais traitements et pour les mises à mort. Voici les extraits des articles concernés (décembre 2022) :

Article 521-1


« Le fait, publiquement ou non, d'exercer des sévices graves, ou de nature sexuelle, ou de commettre un acte de cruauté envers un animal domestique, ou apprivoisé, ou tenu en captivité, est puni de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende.
[...]
Lorsque les faits ont entraîné la mort de l'animal, les peines sont portées à cinq ans d'emprisonnement et à 75 000 euros d'amende.
[...]
Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux courses de taureaux lorsqu'une tradition locale ininterrompue peut être invoquée. Elles ne sont pas non plus applicables aux combats de coqs dans les localités où une tradition ininterrompue peut être établie.
»
 

« Le fait, sans nécessité, publiquement ou non, de donner volontairement la mort à un animal domestique, apprivoisé ou tenu en captivité, hors du cadre d'activités légales, est puni de six mois d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende.
Le présent article n'est pas applicable aux courses de taureaux lorsqu'une tradition locale ininterrompue peut être invoquée. Il n'est pas non plus applicable aux combats de coqs dans les localités où une tradition ininterrompue peut être établie. »


et :

Article R654-1  

« Hors le cas prévu par l'article 511-1, le fait, sans nécessité, publiquement ou non, d'exercer volontairement des mauvais traitements envers un animal domestique ou apprivoisé ou tenu en captivité est puni de l'amende prévue pour les contraventions de la 4e classe.
[...]
Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux courses de taureaux lorsqu'une tradition locale ininterrompue peut être invoquée. Elles ne sont pas non plus applicables aux combats de coqs dans les localités où une tradition ininterrompue peut être établie.
»

Article R655-1 (qui devrait en fait être abrogé suite à la loi du 30 novembre 2021 qui a introduit l'article 522-1 mentionné ci-dessus)

« Le fait, sans nécessité, publiquement ou non, de donner volontairement la mort à un animal domestique ou apprivoisé ou tenu en captivité est puni de l'amende prévue pour les contraventions de la 5e classe.
[...]
Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux courses de taureaux lorsqu'une tradition locale ininterrompue peut être invoquée. Elles ne sont pas non plus applicables aux combats de coqs dans les localités où une tradition ininterrompue peut être établie.
»

En pratique, c'est essentiellement l'article 521-1, et son alinéa dérogatoire (d'abord "troisième", puis "septième", puis "onzième"), qui est discuté par la jurisprudence lorsqu'il est question de corrida.

Quelles sont les zones qui bénéficient de cette dérogation au titre de la "tradition locale ininterrompue" ? Il s'agit de certaines zones d'une douzaine de départements du Sud de la France : 3 départements de la région Nouvelle-Aquitaine (Gironde, Landes, Pyrénées-Atlantiques), 7 départements de la région Occitanie (Aude, Gers, Haute-Garonne, Hautes-Pyrénées, Hérault, Gard, Pyrénées-Orientales), et 2 départements de la région PACA (Bouches-du-Rhône et Var). Soit moins d'un dixième du territoire français.

Plusieurs de ces départements ne comptent plus que deux places taurines (Gironde, Hautes-Pyrénées, Pyrénées-Orientales). Et dans trois de ces départements, il n'y a plus de corridas : le Var depuis 2010, la Haute-Garonne depuis 2016,  l'Aude depuis 2020.

Partout ailleurs, les corridas avec mise à mort constituent donc un délit passible de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
 
Existe-t-il d'autres dispositions du Code pénal prévoyant une immunité légale en cas de tradition ?
La réponse - heureusement - est non.
 
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