Pour le Conseil Constitutionnel, l'exception est la règle
Ainsi, les neuf « Sages » du Palais Royal ont décidé qu’une exception territoriale à un article du Code pénal était conforme à la Constitution.
Pour rappel, l’article 521-1 du Code pénal, du chapitre « Des sévices graves ou actes de cruauté envers les animaux », énonce :
« Le fait, publiquement ou non, d'exercer des sévices graves, ou de nature sexuelle, ou de commettre un acte de cruauté envers un animal domestique, ou apprivoisé, ou tenu en captivité, est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30000 euros d'amende. »
Et l’alinéa 7 introduit l’exception suivante :
« Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux courses de taureaux lorsqu'une tradition locale ininterrompue peut être invoquée. Elles ne sont pas non plus applicables aux combats de coqs dans les localités où une tradition ininterrompue peut être établie. »
Petit survol historique. Si les premières corridas eurent lieu en France en 1853, elles ne se sont vraiment implantées qu'à partir des années 1880. Mais ceci en contrevenant sans vergogne à la loi du 2 juillet 1850 dite loi Grammont, et malgré les circulaires ministérielles rappelant l'interdiction (1884, 1886, 1891), malgré l'intervention de la maréchaussée et de l'armée en 1895, avec expulsions de toreros, et malgré les arrêts de la Cour de Cassation (février 1895, octobre 1895, novembre 1899), pour s'en tenir à la fin du 19ème siècle.
Ce n'est qu'à partir de 1951 (loi du 24 avril) que la corrida fut tolérée là où existait une tradition... illégale ! L’alinéa 7 est l’héritier de cette exception à la loi pénale.
En bref, il était demandé au Conseil Constitutionnel de statuer sur le caractère constitutionnel d’un alinéa du Code pénal :
- entérinant une pratique restée délibérément illégale des années 1880 jusqu’à la moitié du XXe siècle.
- en instituant une exception territoriale unique en son genre.
Le moins qu’on puisse dire, c’est que la constitutionnalité de cet alinéa 7 paraissait poser problème, puisque le préambule de la Constitution renvoie à la Déclaration des droits de l’Homme de 1789, dont l’article VI précise que la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse », et que l’article 1er de la Constitution précise lui-même que « La France est une République indivisible [qui] assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens »
Mais le Conseil Constitutionnel vient de décider que de problème, il n’y avait point. Circulez, y a rien à voir !
Nous nous garderons bien, en bons républicains, d’oser remettre en cause cette décision, même si on cherche en vain dans le 5e considérant un argument autre qu'une pétition de principe.
Nous irons même plus loin : cette bénédiction des Sages du Palais Royal ouvre la porte à des initiatives législatives originales. En effet, pourquoi ne pas solliciter d’autres immunités pénales en faveur des pratiques illégales, dès lors qu'elles sont peu ou prou implantées, dans certaines zones urbaines ou péri-urbaines, dans certaines communes, ou dans certains départements ?... Une aubaine pour les mafieux, les bandes, les délinquants, les trafiquants, les magouilleurs, les prévaricateurs, les prédateurs, les déprédateurs, les provocateurs, les belliqueux…
Des exemples ? En voici quelques uns (à chacun de se faire une idée des possibles localisations de ces exceptions...)
Article 222-37
« Le transport, la détention, l'offre, la cession, l'acquisition ou l'emploi illicites de stupéfiants sont punis de dix ans d'emprisonnement et de 7500000 euros d'amende. »
Ajoutons un alinéa :
« Les dispositions du présent article ne sont pas applicables au trafic de stupéfiants lorsqu’une tradition locale ininterrompue peut être invoquée.
Article 225-4-1
[…]
« La traite des êtres humains est punie de sept ans d'emprisonnement et de 150 000 euros d'amende. »
Ajoutons un alinéa :
« Les dispositions du présent article ne sont pas applicables en matière de prostitution forcée ou de travail clandestin d'immigrés lorsqu’une tradition locale ininterrompue peut être invoquée. »
Article 225-5
[ …]
« Le proxénétisme est puni de sept ans d'emprisonnement et de 150000 euros d'amende. »
Ajoutons un alinéa :
« Les dispositions du présent article ne sont pas applicables en matière de proxénétisme par la contrainte lorsqu’une tradition locale ininterrompue peut être invoquée. »
Article 225-13
« Le fait d'obtenir d'une personne, dont la vulnérabilité ou l'état de dépendance sont apparents ou connus de l'auteur, la fourniture de services non rétribués ou en échange d'une rétribution manifestement sans rapport avec l'importance du travail accompli est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 150 000 Euros d'amende. »
Ajoutons un alinéa :
« Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux sociétés employant des travailleurs immigrés en situation irrégulière lorsqu’une tradition locale ininterrompue peut être invoquée. »
Article 312-6
« L'extorsion en bande organisée est punie de vingt ans de réclusion criminelle et de 150000 euros d'amende. »
Ajoutons un alinéa :
« Les dispositions du présent article ne sont pas applicables au racket organisé lorsqu’une tradition locale ininterrompue peut être invoquée. »
Article 322-1
« La destruction, la dégradation ou la détérioration d'un bien appartenant à autrui est punie de deux ans d'emprisonnement et de 30000 euros d'amende […] »
Ajoutons un alinéa :
« Les dispositions du présent article ne sont pas applicables au vandalisme des biens publics ou privés lorsqu’une tradition locale ininterrompue peut être invoquée. »
Article 432-11
« Est puni de dix ans d'emprisonnement et de 150 000 euros d'amende le fait, par une personne dépositaire de l'autorité publique, chargée d'une mission de service public, ou investie d'un mandat électif public, de solliciter ou d'agréer, sans droit, à tout moment, directement ou indirectement, des offres, des promesses, des dons, des présents ou des avantages quelconques pour elle-même ou pour autrui […] »
Ajoutons un alinéa :
« Les dispositions du présent article ne sont pas applicables à la corruption et au trafic d’influence lorsqu’une tradition locale ininterrompue peut être invoquée. »
Article 432-12
« Le fait, par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public ou par une personne investie d'un mandat électif public, de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l'acte, en tout ou partie, la charge d'assurer la surveillance, l'administration, la liquidation ou le paiement, est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75000 euros d'amende. »
Ajoutons un alinéa :
« Les dispositions du présent article ne sont pas applicables à la prise illégale d’intérêt lorsqu’une tradition locale ininterrompue peut être invoquée. »
Article 433-5
[…]
« Lorsqu'il est adressé à une personne chargée d'une mission de service public et que les faits ont été commis à l'intérieur d'un établissement scolaire ou éducatif, ou, à l'occasion des entrées ou sorties des élèves, aux abords d'un tel établissement, l'outrage est puni de six mois d'emprisonnement et de 7500 euros d'amende. »
Ajoutons un alinéa :
« Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux paroles et gestes outrageants envers les enseignants lorsqu’une tradition locale ininterrompue peut être invoquée. »
Article 433-3
[…]
« Est punie des mêmes peines la menace de commettre un crime ou un délit contre les personnes ou les biens proférée à l'encontre d'un agent d'un exploitant de réseau de transport public de voyageurs, d'un enseignant ou de tout membre des personnels travaillant dans les établissements d'enseignement scolaire ou de toute autre personne chargée d'une mission de service public ainsi que d'un professionnel de santé […] »
Ajoutons un alinéa :
« Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux menaces et actes d’intimidations envers les agents de transport, les enseignants ou les professionnels de santé lorsqu’une tradition locale ininterrompue peut être invoquée. »
Puisque même en matière pénale, il est conforme à la Constitution que le droit se soumette aux faits, allons-y gaiement !