La corrida est-elle constitutionnelle ?
Une QPC (Question Prioritaire de Constitutionnalité) a été déposée par des associations de défense animale (le CRAC Europe et Droits des Animaux), à l’occasion d’un recours contre l’inscription de la corrida à l’inventaire du patrimoine culturel immatériel français en 2011 (voir notre article précédent).
On peut visionner l’audience du Conseil Constitutionnel sur la QPC concernant la constitutionnalité de la corrida, le 11 septembre 2012, sur CE LIEN (37 mn).
• L’avocat du CRAC Europe et de Droit des Animaux, Me Eric Verrièle, se base sur des arguments solides :
- l’égalité de tous les citoyens français devant la loi pénale (le droit pénal subit, par le 7ème alinéa de l’art 521-1, une exception territoriale tout à fait unique)
- la sécurité juridique qui doit encadrer le droit français (la notion de « tradition locale ininterrompue » est livrée à l’appréciation des juridictions locales et nationales au cas par cas).
• On y entend dans un deuxième temps (20’20'’) Me Emmanuel Piwnica, l’avocat de l’Observatoire National des Cultures Taurines et de l’Union des Villes Taurines de France, deux associations de lobbying tauromachique. Nous laissons à chacun le soin d’apprécier son argumentation.
• On y entend dans un troisième temps (31’) Xavier Pottier, représentant du Premier Ministre chargé des questions de constitutionnalité, des affaires contentieuses, et de la diffusion du droit. Celui-ci défend « l’exception corrida ».
Autant l’avocat de l’ONCT et de l’UVTF est dans son rôle, autant l’intervention de M Pottier en tant que représentant du Premier Ministre est un scandale pur et simple (*). Les enquêtes d’opinions montrent que les 3/4 des Français sont défavorables à la corrida, et que le 2/3 préconisent son interdiction. On aurait, en tout état de cause, au minimum attendu de la part du gouvernement une neutralité sur cette question polémique. Cette prise de position pose un réel problème aux Français, notamment aux Français de gauche.
Et on peut par ailleurs visionner la malencontreuse intervention de Manuel Valls, Ministre de l’Intérieur, le même jour sur BFM.TV-RMC, défendant l’« exception corrida ». Ceci au mépris de la séparation des pouvoirs, et au mépris du devoir de réserve d’un Ministre de la République censé représenter le peuple français.
Manuel Valls n’est donc hélas dorénavant plus crédible en tant que Ministre, quelle que soit l’opinion personnelle que chacun peut avoir sur la question tauromachique.
L’opinion de Manuel Valls sur la corrida n’est pas un scoop. L’attention avait été attirée sur sa passion militante, bien avant les échéances électorales de 2012, dès juin 2011. M Valls était alors vice-président du Groupe tauromachie à l'Assemblée nationale, et arguait de ses origines catalanes, alors même que la Catalogne avait aboli la corrida !
Et dès janvier 2012, l’élection de M Hollande et la nomination de M Valls à l’Intérieur avaient été évoquées, et le militantisme taurin de ce dernier inquiétait déjà. L’article mentionnait ironiquement « Nous sommes heureux d'apprendre que le maire d'Évry, candidat à la présidence de la République, défend la polygamie ou les mutilations génitales féminines, dès lors qu'elles se soutiennent d'une tradition et d'une culture. »
Le COVAC n'a bien entendu aucune orientation politique, et rassemble des citoyens d'opinions poliques variées. Mais il est affligeant de voir ainsi bafouée l'unité républicaine la plus élémentaire.
La décision du Conseil Constitutionnel sera rendue publique le 21 septembre.
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(*) : en fait, le Règlement intérieur sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les QPC prévoit que les autorités exécutives et législatives sont avisées, et que les agents désignés par ces autorités peuvent présenter leurs observations lors de l'audience. Depuis que le Conseil Constitutionnel tient audience pour les QPC (mai 2010), le Premier Ministre envoie toujours un représentant (Xavier Pottier depuis octobre 2010).
Et ce représentant soutient toujours la conformité à la Constitution des textes contestés, à de très rares exceptions près où il déclare s'en remettre à ses observations écrites (qu'on ignore). Ceci y compris dans la soixantaine de cas où le Conseil a décidé au final une non conformité à la Constitution.
(remarque ajoutée le 25/09/2012)